DANSE – Retraitée depuis six ans, la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot prouve qu’une « vraie star » ne s’éteint jamais. Dans “For Gods Only, Sacre #3” au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 7 décembre, la divine étoile pulvérise littéralement les codes dans un solo chorégraphié pour elle par Olivier Dubois. Sa performance confirme son statut de légende vivante, scotchant le spectateur à son siège pendant une cinquantaine de minutes.
Le Sacre 3.0
Le chorégraphe Olivier Dubois poursuit son exploration du Sacre du printemps de Stravinsky, après un premier volet en 2012 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, puis un second (Mon élue noire. Sacre#2) pour Germaine Acogny en 2014. Dix ans plus tard, il confie sa nouvelle partition du Sacre#3 à celle qui nomme sans détour « légende vivante » : Marie-Agnès Gillot. Et c’est précisément le concept de légende qu’il interroge ici dans son solo captivant : « Devenir une icône, n’est-ce pas se faire déposséder de sa destinée ? Devenir le musée de soi-même ? ».
Le spectacle commence dans un noir absolu : seul un visage avec une bouche béante comme un cri silencieux est éclairé. Malgré le chahut ambiant – des spectateurs indisciplinés qui s’agitent et s’engueulent et un éclair intempestif de flash – Marie-Agnès Gillot reste imperturbable et concentrée dans sa posture.
Danse de la guerre

Puis survient un grondement sourd. Puis la musique. La lumière révèle progressivement son corps : celui d’une femme samouraï coiffée d’un casque et vêtue d’une armure noire japonaise. La scénographie de Morgane Tschiember prolonge cette imagerie d’un Japon ancestral, avec cette imposante structure en bois entourée de cordage de la forme d’un Torii, un portail traditionnel érigé à l’entrée des sanctuaire shintoïstes.
Longtemps statique, cette guerrière de la danse s’anime soudain avec l’intensité de la musique. Ses pas, inspirés de la danse classique, sont de plus en plus intense pour devenir une lutte contre des forces invisibles. Peut-être contre les fantômes de son passé ? Chaque mouvement ici est un combat. Puis elle prend une pause, monte sur le Torii pour se griller une cigarette avant le grand final. La lumière s’éteint. Elle est enfin libérée de son casque et de sa coiffure, ses magnifiques cheveux volent et sa rage explose au rythme saccadé des violons. Ses longs bras ondulent vers nous de façon complètement hypnotique, comme un vieux sage conjurant les mauvais sorts. Elle se donne à fond comme elle l’a toujours fait, justifiant encore son statut d’immense danseuse.

Sacrifice, sans artifice
Marie-Agnès Gillot relève le défi chorégraphique d’Olivier Dubois avec une passion dévorante. C’est un rôle physiquement exigeant, aux antipodes de sa silhouette élancée, qui nécessite une force et un ancrage remarquable comme elle le souligne elle-même en interview : « Ce sont souvent les jambes qui évoluent quand on danse. Olivier est très ancré dans le sol et, dans cette pièce, il faut énormément de force dans les cuisses. Il faut vraiment avoir les pieds sur terre, sinon on est rapidement dépassé par la vitesse de l’exécution. » Une preuve de plus que rien ne peut faire obstacle à la détermination de cette guerrière.
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Comme chez Nijinski, elle sacrifie littéralement son corps à un art dont chaque mouvement est une offrande au spectateur. Elle transforme ce solo de 50 minutes en une expérience méditative. Seule sur scène, elle captive l’attention absolue du public. Une preuve de plus que les danseurs ne sont pas interchangeables, comme on veut parfois nous le faire croire. On est venue pour la voir, elle. For Gods Only est un solo électrisant qui nous fait comprendre pourquoi certains danseurs comme Marie-Agnès Gillot ont marqué leur époque.