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Marie-Agnès Gillot : « Il fallait être la meilleure »

DANSE – À l’affiche de For Gods Only (du 28 novembre au 7 décembre au Théâtre du Rond-Point), Marie-Agnès Gillot revient avec nous sur son parcours, qui l’a mené du ballet de l’Opéra de Paris vers la danse contemporaine, en passant par… Danse avec les Stars. Entretien avec une des danseuses qui comptent aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous a donné votre vocation ?

Ma vocation pour la danse est née d’un heureux concours de circonstances plutôt que d’un héritage familial. Je ne venais pas d’un milieu artistique : un père kiné, une mère comptable et un beau-père cuisinier. Mais à 5 ans, je marchais spontanément sur demi-pointes, ce qui a incité ma mère à m’inscrire à des cours de danse. 

Dès mes premiers pas dans cet univers, j’ai littéralement adoré. L’atmosphère unique des cours, la complicité avec les autres élèves et surtout l’enseignement inspirant de ma professeure, Chantal Ruault, ont fait naître en moi une véritable passion. Cette révélation s’est rapidement transformée en conviction : à 7 ans à peine, j’avais déjà la certitude de vouloir devenir danseuse professionnelle. 

Quel a été votre parcours d’apprentissage ?

N’ayant pas les moyens de prendre des cours particuliers, j’ai d’abord bénéficié de l’enseignement précieux de Chantal Ruault. Cette première étape a été déterminante, me permettant d’intégrer l’école de danse de l’Opéra de Paris à l’âge de 9 ans, que j’ai fréquentée jusqu’à mes 14 ans. La danse a toujours été au cœur de ma vie, et ces années de formation initiale ont été cruciales : elles représentent cette période décisive où une jeune danseuse donne toute la mesure de son potentiel. 

Qui ont été vos maîtres et que vous ont-ils appris ?

Mon apprentissage s’est enrichi au contact de maîtres exceptionnels, tant dans le registre classique que contemporain. Dans le ballet classique, j’ai eu le privilège d’être formée par des figures emblématiques : Ghislaine Thesmar, Florence Clerc et Pierre Lacotte. 

Ensuite je me suis tournée vers la danse contemporaine lorsque, à seulement 16 ans, j’ai été choisie par Mats Ek pour danser dans son Giselle, un ballet qui m’est particulièrement cher et dans lequel j’ai eu l’opportunité d’incarner tous les rôles féminins. Mon parcours s’est ensuite enrichi grâce à des collaborations avec des chorégraphes de renom comme Pina Bausch, Carolyn Carlson, et plus récemment Crystal Pite, qui ont chacune contribué à façonner mon approche de la danse.

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Qu’est-ce qui était le plus enthousiasmant dans ce parcours ?

Je crois que le plus enthousiasmant a été de s’attaquer aux grands ballets classiques. Chaque nouveau rôle représentait une aventure unique, un défi à relever. Je n’ai jamais trouvé de satisfaction particulière à reprendre des rôles déjà maîtrisés – ma passion était dans l’exploration de nouveaux territoires artistiques. Cette attirance pour la prise de risque et la nouveauté reste d’ailleurs toujours aussi vive aujourd’hui.

Et le plus difficile ?

En revanche, l’aspect le plus éprouvant de ce parcours était sans conteste la solitude inhérente au milieu de la danse classique, particulièrement à l’Opéra de Paris. Le monde de la danse est très dur, marqué par une compétition permanente. À mon époque, la notion de sororité n’existait pas. Le système lui-même entretenait cette rivalité : même en tant que professionnelle, nous devions passer un concours chaque année, ce qui maintenait une pression constante pour rester au sommet. Il fallait être la meilleure. La dynamique était particulièrement complexe entre danseuses, où les relations étaient souvent perfides, en fort contraste avec l’ambiance plus solidaire qui régnait chez les danseurs masculins. Cette compétition acharnée entre femmes rendait pratiquement impossible l’émergence d’une sororité. C’était un environnement qui exigeait non seulement l’excellence technique, mais aussi une grande force mentale pour faire face à cette solitude professionnelle.

© Julien Benhamou

Quel est le spectacle que vous avez préféré danser ? 

Je suis incapable de répondre, car j’ai aimé danser tous les ballets dans lesquels j’étais. Sinon, je ne les dansais pas. Dans le registre classique, j’ai eu un immense plaisir à danser dans Paquita, Don Quichotte et Le Lac des Cygnes, sans oublier Rubis de Balanchine. Du côté contemporain, j’ai attachement particulier pour Giselle dans la version de Mats Ek, Signes de Carolyn Carlson, et l’intense Orphée et Eurydice de Pina Bausch.

Votre plus beau souvenir à l’opéra de Paris ? 

Paradoxalement, mon souvenir le plus précieux à l’Opéra de Paris n’est pas lié à une performance sur scène ni à ma nomination d’étoile, mais à des moments de liberté : nos escapades secrètes sur les toits de l’Opéra. Ces instants sont devenus d’autant plus précieux qu’ils étaient interdits vers la fin, bien que – et je tiens à le préciser – je ne prenais jamais de risques inutiles !

Qu’avez-vous ressenti lors de votre nomination d’étoile ? Lors de vos adieux ?

Ma nomination comme étoile est survenue en 2004, alors que j’avais 29 ans, lors d’une représentation du ballet Signes de Carolyn Carlson. Mais le directeur de l’époque, Hughes Gall, bien qu’ayant choisi de me nommer pour son anniversaire, a préféré faire l’annonce à rideau fermé, c’est à dire juste entre nous. Cette décision a privé le public de participer à ce moment symbolique, lui donnant un goût légèrement amer. Cette nomination représentait l’aboutissement d’une longue attente, parfois frustrante, car bien que je l’attendais depuis longtemps, que je savais qu’elle viendrait, elle tardait à se concrétiser.

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Quant à mes adieux en 2018, ils se sont déroulés sur Orphée et Eurydice de Pina Bausch, un choix fait par Benjamin Millepied sans que j’aie mon mot à dire sur le ballet. Ce moment a été particulièrement éprouvant émotionnellement, car on ne peut jamais vraiment se préparer à ne plus être danseuse – c’est une transition qui s’apparente à un véritable deuil. Devoir abandonner ce qui a constitué l’essence même de votre identité pendant tant d’années est une expérience très dure. 

© Julien Benhamou

Comment c’était de participer à « Danse avec les stars ? »

Mon expérience à « Danse avec les stars » s’est révélée enrichissante mais particulièrement délicate. En tant que danseuse professionnelle, juger des amateurs représentait un véritable exercice d’équilibriste. Il fallait trouver les mots justes : être encourageante pour qu’ils progressent, tout en restant diplomate. Ce qui me mettait mal à l’aise, c’était la façon dont l’émission entretenait l’illusion qu’on pouvait devenir danseur en quelques semaines d’entraînement, alors que c’est le fruit d’années de travail acharné. Même si cela peut convenir pour la danse de salon, je trouvais que cela dénaturait quelque peu notre profession. Cette nécessité d’être perpétuellement diplomate, parfois au détriment de l’authenticité, ne correspondait pas vraiment à ma personnalité.

C’était comment de participer au clip d’Arthur H et de Benjamin Biolay ? 

Mes collaborations avec Arthur H et Benjamin Biolay pour leurs clips musicaux ont été de très belles expériences artistiques. En tant que chorégraphe mais aussi en tant que danseuse, j’ai pu exprimer pleinement ma créativité, sans contraintes. Ces opportunités, nées de rencontres à travers des amis communs, m’ont offert un espace de liberté artistique totale que j’ai particulièrement adoré. 

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Comment avez-vous eu l’idée de For Gods Only ?

For Gods Only est né d’une proposition inattendue d’Olivier Dubois, un chorégraphe dont je ne connaissais pas particulièrement le travail à l’époque. J’ai accepté ce projet par instinct. Dans cette création, où je suis uniquement interprète, Dubois explore le concept de « légende vivante » et il m’a choisi à la suite d’une réflexion de Barychnikov à mon sujet. C’était un territoire nouveau, explorant l’univers des samouraïs. Le défi était important car la danse d’Olivier, très axée sur la puissance, contrastait avec ma nature de danseuse plus élancée.

Quels sont vos autres projets ? Pouvez-vous nous en parler, nous les présenter ?

C’est peut-être dans la transmission que je trouve aujourd’hui mes plus grandes satisfactions. J’ai créé l’association Entrechat 14 à Houlgate, ma ville natale, où j’ai repris la maison familiale. Cette initiative vise à rendre la danse accessible aux jeunes qui n’en ont pas les moyens. Notre première réussite a été un petit garçon qui a intégré l’école de danse de l’Opéra de Paris. Je donne également deux stages annuels pendant les vacances aux côtés de ma première professeure, Chantal Ruault. Ces stages attirent beaucoup de monde, notamment des danseurs de l’Opéra, car il est rare d’avoir une étoile qui enseigne. Dans mon approche pédagogique, je mets un point d’honneur à transmettre un enseignement valide et bienveillant, en rupture avec certaines méthodes trop rigides que j’ai pu connaître. 

En parallèle de ces activités d’enseignement, je continue de me produire, notamment au musée Les Franciscaines à Deauville, où j’ai récemment présenté un solo pour une délégation chinoise. Et je vais danser prochainement dans un trio chorégraphié par mes deux partenaires, James Pett et Travis Knight, dont la première est prévue à Londres en mars 2025. 

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