CONCERT – Le compositeur et pianiste germano-britannique présente à Bruxelles son dernier album In A Landscape en première partie, tandis que la seconde est consacrée à The Blue Notebooks qui célèbre cette année ses 20 ans.
Accompagné sur scène par Eloisa Fleur Thom et Max Baillie aux violons, Connie Pharoah à l’alto ainsi que Max Ruisi et Zara Hudson-Kozdoj aux violoncelles, c’est dans une atmosphère intime que se déploie la puissance du compositeur, à la mesure de son échelle.
À l’échelle de Richter
Sur la grande scène de la Salle Henry Le Boeuf trainent les tubes du grand orgue, annonçant la verticalité d’une mise en scène qui repose pourtant sur une simple ligne en néon droitement dressée vers les espaces éthérés du très haut. Baigné dans un espace sombre qui invite à la méditation concentrée, les premières notes s’amorcent et rejoigne l’esprit calme du compositeur.

La main posée sur les sédiments de nos vécus pour couverture, le nouvel album de Max Richter prend le temps de la réconciliation. Mesuré, nostalgique et spleenien, l’intimité du paysage intérieure rencontre le sentiment général d’un trop plein de l’univers. Construit comme une route fatale vers la solitude libératrice, In A Landscape s’adresse au silence intérieur, à la méditation qui égrène les idées et laisse le temps du vide.
Dé-espoir pour une libération
De cette fatalité résulte un dé-espoir : l’envie d’arrêter d’espérer pour se concentrer sur un présent lucide, sans se tourner vers le lendemain. Radicaux et patients, les morceaux bâtissent un Zeitgeist (esprit du temps) sans jugement. Nourri par un cinéma intérieur, Max Richter se mêle aux images et aux nostalgies communes, tirée vers le présent qui égrène les notes. Les bruits de pas dans la boue humide, le chant des oiseaux que l’on perçoit au lever du jour, ainsi que les frottements des imperméables de la marche incarnent le « sentiment d’un chemin ».
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Complémentaire aux scènes picturales de l’album, l’aspect intimiste de l’œuvre est ainsi accentué par neuf Life Studies ou assemblages d’enregistrements sur le terrain, incluant, en plus des effets d’itinérance en forêt, le son d’œufs en train de bouillir, des répétitions de Mozart au piano ou encore le bruit d’un chariot à bagages dans un aéroport.
À travers les cordes des baroques contemporaines, Some Will Fall et A Time Mirror évoquent les sanglots du Marquis de Sainte-Colombe (Tous les Matins du Monde), qui, en jouant de la viole de gambe, semble convenir d’un rendez-vous avec les visites spectrales de son épouse. S’adresser aux esprits du passé, prendre le temps du regard, chacun possède en soi des moments de clarté auxquelles s’adresse cet album.
Paysages en résidence
In a Landscape marque le premier album solo enregistré au Studio Richter Mahr (SRM), un espace dédié à la composition et aux résidences écologiques, conçu en 2022 par Richter et son épouse, Yulia Mahr. Ce lieu s’inspire de modèles créatifs comme le Bauhaus, le Black Mountain College en Caroline du Nord, ainsi que le Banff Centre for Arts and Creativity, perché dans les montagnes Rocheuses du Canada. L’emplacement du studio est gardé secret. On sait seulement qu’il est situé à l’extérieur d’une ville, en bordure d’une forêt.
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La seconde partie du concert présente The Blue Notebook qui selon son auteur est « un album de protestation contre [la guerre en] Irak, une méditation sur la violence – à la fois la violence que j’avais personnellement vécue autour de moi quand j’étais enfant et la violence de la guerre, face à la futilité totale de tant de conflits armés ». L’album, désigné par The Guardian comme la 21e plus grande œuvre musicale depuis 2000, incarne également une réconciliation entre l’homme et la nature, oscillant entre son aspect électronique et acoustique.
Preuve plus directe directe du talent de Richter pour l’illustration radicale de la violence, la bande son de Valse avec Bashir prenait déjà un sens tout particulier :
Témoin de ce moment fort pour tout les publics, l’accueil des Belges est particulièrement chaleureux, rompant la fixité d’une atmosphère suspendue, empreinte de mysticisme. La lumière de la grande salle se rallume, plus éclatante, et le bruit plus présent. Comme si ce moment de recueillement avait aiguisé une part du réel, presque trop réelle.
Un autre paysage ?
Petit hasard appréciable, John Cage a également proposé un album du même nom en 1948. Sans vouloir faire les comparaisons, un nouveau paysage à visiter (hommage à Eric Satie) est disponible ici :