CONCERT – L’Orchestre d’harmonie de Vichy, formation semi-professionnelle de référence dans la ville thermale et même au-delà, fait à nouveau salle comble pour son traditionnel concert de fin d’année. Un concert où il s’agit de relever un défi de taille : peindre en direct une fresque sonore aux teintes vivifiantes.
C’est l’hiver, le ciel est gris, les soirées sont bien sombres, alors plus que jamais, il est temps d’aller chercher un peu de couleur. Bingo : c’est précisément ce que propose l’Orchestre d’harmonie de Vichy (OHV), à l’occasion de son grand concert de fin d’année donné dans un cadre, l’Opéra de Vichy, dont les dorures jaunes sont à elles seules un festival de teintes scintillantes. Et quitte à donner dans la couleur, autant le faire avec des manières d’artiste-peintre, ce dont ne se prive pas le chef Joël Jorda qui, avec sa baguette-pinceau en main, conduit avec une délicatesse à la Vermeer son ensemble de vents et percussions (mais aussi harpe et contrebasse) composé de jeunes musiciens amateurs et de professeurs rompus à l’art de l’expressivité par le son.

Peintures de guerre
Peindre, donc. Mais comment trouver l’inspiration ? En se laissant guider par la musique, pardi ! Celle du méconnu Reinhold Glière, d’abord. Voici ainsi venir l’Ouverture solennelle du compositeur russe (comme son nom ne l’indique pas), avec cuivres rutilants, bois triomphants et timbales exaltées. On se croit là dans quelque musique de film façon western, ou plutôt, pardon, plongé dans une toile de maître à la Jacques Louis-David, avec un Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard entouré de musiciens-cavaliers qui auraient soudain lâché l’instrument pour la bride. Et comme ils courent vite et fort, leurs chevaux !

Vient ensuite Moussorgski et ses biens nommés Tableaux d’une Exposition, dans cette version orchestrée voici un siècle par un Maurice Ravel qui avait été mis à l’honneur lors de ce même concert de fin d’année de l’OHV, en 2023. Des Tableaux comme autant de paysages et d’ambiances, avec ce motif initial connu de tous (mais si !) introduit par une trompette effervescente bientôt rejointe par un tutti non moins enflammé. L’ambiance est encore à la promenade équestre, et voilà le public plongé dans une peinture de Rosa Bonheur, dont les chevaux menés par le Shérif Jorda ne partiraient pas au marché mais au combat, lequel serait triomphal bien sûr. Puis, aux côtés d’un Gnome et sur la route de Limoges, en passant par quelque Catacombe, voici que des mouvements se font ici plus saccadés et ténébreux, là davantage joyeux et virevoltants, quand la douceur du saxophone n’invite pas à l’occasion à ressentir davantage de tendre mélancolie. Il y a là un peu d’impressionnisme à la Monet, de réalisme à la Caillebotte, et bien sûr beaucoup de ce style mystérieux et féerique d’un Viktor Hartmann à qui l’ami Moussorgski a dédié ses Tableaux. Des Tableaux dont le final, avec les timbales héroïques répondant à l’orchestre tout entier, sont un ultime ravissement tant pour les yeux que les oreilles.
Et soudain, Fantômas !
Et le romantisme dans tout cela ? Il arrive bien vite, avec en la matière l’un des plus fameux représentants de l’école française : Camille Saint-Saëns. Et quitte à donner dans le coup de pinceau partant de tous côtés, autant jouer l’une des œuvres les plus fameuses dudit compositeur : sa Troisième symphonie (ici réorchestrée par Joël Jorda et Christian Legardeur, ancien chef et directeur de la formation vichyssoise). Une œuvre qui, en plus de l’harmonie, convoque également orgue et piano à deux mains. C’est dire s’il y a de quoi en dépeindre, des formes et des couleurs, pour un maestro Jorda qui se fait fort, ici et là, d’aller faire briller les plus éclatants des vernis sonores auprès de ses différents pupitres.
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Et ce au rythme de l’Allegro ou de l’Adagio, mais avec une même manière de chercher la fusion et l’osmose entre des teintes que viennent agrémenter magistralement des touches de piano et d’orgue. Lequel orgue, joué par Alexis Droy, trouve en la grande salle de l’opéra une fameuse et peu usuelle caisse de résonance (pour un peu, on en verrait arriver Fantômas !). Ainsi, c’est bien l’esprit des Hayez et Delacroix qui est ici invoqué au prix d’une œuvre peinte sans temps morts, quelques tempi plus modérés faisant office de pause bienvenue pour mieux donner ensuite dans le trait encore plus appuyé et expressif. Et à la fin, c’est encore la tonnante timbale qui vient parachever une toile de maître.
De ce concert de l’orchestre vichyssois, soutenu pour ce spectacle par la fondation Péronnet (du nom d’une figure locale et mélomane bien connu), une dernière mélodie de Tchaikovski, Rien que le coeur solitaire, vient constituer une fin tout en traits de douceurs. Les nombreux spectateurs, conquis par cet enchaînement de tableaux comme autant d’émotions, ne peut qu’applaudir chaleureusement cette performance façon live painting qui ne pouvait trouver un plus beau cadre que celui de l’opéra de Vichy.