CONCERT – Un Requiem Allemand de Johannes Brahms par l’ensemble Pygmalion à la Philharmonie de Paris : un poème lyrique célébrant les vivants au bras d’un c(h)œur d’exception.
Note de la Rédaction : qui dit musique sacrée dit qu’on donne du sens au texte, pas nécessairement qu’on soit poussé à y croire.
“Au milieu de la vie,
Luther – Enchiridion d’Erfurt, 1524
nous sommes entourés par la mort.
Qui est celui qui nous apporte le secours,
pour que nous obtenions la grâce ?
C’est toi, Seigneur, seul.
Nous nous repentons de notre iniquité,
qui t’a irrité, Seigneur.”
Dans un “Requiem humain” qui s’apparente moins à une messe des morts qu’à un hymne au repos des vivants, l’ensemble Pygmalion est celui qui reste, corps multiple, fourmillant de vie. Et Raphaël Pichon est le cœur qui bat de cet être charnu, complexe. Il ne dirige plus mais éveille, donne corps. Au bout de ses doigts, une matière infiniment malléable, orchestre dont il est l’impulsion sanguine, et dont le chœur est le poumon.
Une Chapelle à la Porte de Pantin
Par un “Mitten wir im Leben” (Mendelssohn) a cappella, l’ensemble s’anime, annonce le ton de l’œuvre qui va suivre, et réveille les murs de la Philharmonie dans un choral luthérien appelant au repentir. Comme chez Brahms, l’hymne appelle à l’apaisement des âmes, à une consolation pieuse. Alors, les voix masculines implorent élégamment le Saint Seigneur Dieu, accompagnées par un pupitre de femmes plus en retrait.

Ensemble, ils retrouvent le son si caractéristique de l’ensemble Pygmalion, chœur aux consonnes soignées et à la justesse imprenable. Mus par une seule respiration, qu’on lit dans leurs phrases musicales toujours dirigées, ils se mêlent finalement au pupitre des violons, en ouverture du Requiem Allemand. Car le traitement sonore si particulier des cordes en boyau leur autorise une couleur quasi indissociable de celle des voix, assurant une masse orchestrale impressionnante.
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Le sacre du tympan
Celle-ci, toujours complétée par un immense Koen Plaetinck aux timbales, martèle un ferme “So seid nun geduldig” (Soyez donc patients, chers frères), supplication à la résilience. Et en délicate note de tête, la soprano Sabine Devieilhe, d’une voix toujours claire et aux aigus faciles, se fond dans la clarinette en un sublime pianissimo, consolatrice d’une douleur plus grande que tous.
“Vous aussi, vous êtes triste maintenant ; mais je vous reverrai,
Jean 16:22
et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie.”
Stéphane Degout, d’un baryton chaud, profondément ancré dans le sol, ramène l’ensemble à la Terre. Son “Herr, lehre doch mich”, puissant et digne, se fait prêcheur d’une rédemption prochaine :
“Oui, je vais vous dire un mystère : nous ne mourrons pas tous,
Corinthiens 15:51-52 ; 54-55
mais tous, nous serons changés ;
en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette.
Car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront, incorruptibles,
et nous, nous serons changés.
Alors s’accomplira la parole de l’Écriture :
La mort a été engloutie dans la victoire.”
Alors, proclamant la béatitude des morts du Seigneur, le silence est suspendu pendant quelques secondes au bras de Raphaël Pichon, avant que ne s’élèvent les applaudissements nourris de la Philharmonie, avènement aux bienheureux.