CONCERT – C’est un programme pour le moins riche qu’a proposé l’Orchestre de chambre de Paris au TCE, autour du pianiste Kirill Gerstein : trois concertos pour piano qui, auprès des célébrissimes partitions de Mozart et Beethoven, convient le bien rare Salieri.
Familier du répertoire classique, l’Orchestre de chambre de Paris innove en mettant en lumière l’œuvre de Salieri ; en proposant, également, un programme très dense avec pas moins de trois concertos de trois compositeurs différents, avec le trio viennois Salieri-Mozart-Beethoven.
Salieri, l’outsider
Inattendu, Salieri ? Oui, encore et toujours, bien que la discographie lui ait laissé une petite place ces dernières années – ou du moins à son répertoire lyrique, dans lequel il a connu ses plus grands succès. Entendre le Concerto en si bémol majeur est donc une occasion unique, qui ne se renouvellera peut-être pas de sitôt pour les auditeurs, pour une pièce où le compositeur a tout à prouver.
Soyons honnêtes, sur le marché du concerto, Salieri n’est pas en tête de file : écrite pour le clavecin mais jouée ici au piano, dans un genre qui n’est pas celui de prédilection du compositeur, l’œuvre souffre surtout de la comparaison avec Mozart et Beethoven. Néanmoins, les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris déploient une énergie et un engagement constants pour faire apparaître cette musique sous son meilleur jour, et la défendre auprès du public. Le clavecin aurait sans doute été plus adapté, à la fois pour la précision des ornements et des traits virtuoses, et pour l’équilibre entre le soliste et l’orchestre ; mais Kirill Gerstein ne manque pas de lyrisme dans l’Adagio, ni d’esprit, dans le dernier mouvement, qui mêle des couleurs de boîte à musique et des évocations de Marche turque. Un concerto outsider qui défend donc son territoire.
Mozart, le challenger
À l’inverse, dès ses premières mesures, le Concerto pour piano n°20 de Mozart se montre compétitif : c’est l’opéra que le compositeur amène dans le répertoire symphonique, et l’œuvre pousse dans ses retranchements la concurrence de Salieri. Face à un orchestre très dramatique, Kirill Gerstein, dirigeant depuis le clavier, déploie un jeu toujours très lumineux, au legato sans aspérités. L’ensemble aurait mérité la présence d’un chef, qui aurait pu mieux équilibrer les forces en présence – et éviter quelques inexactitudes. Mais on retiendra la qualité des flûte et basson, remarquables dans leur dialogue avec le piano dans la Romance, comme l’incroyable cadence de Busoni à la fin du premier mouvement – énorme et à la liberté démesurée.
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Face à l’inventivité de Mozart, les Variations sur le thème des Folies d’Espagne de Salieri on des airs d’exercice de style, bien qu’avec quelques fulgurances. Mais l’orchestre, là encore, s’y jette avec enthousiasme et offre des tutti aux couleurs assez somptueuses, de même que de remarquables solos de harpe, hautbois, clarinette et violon – sous l’archet de Maria Wloszczowska, qui dirige également l’ensemble. Ne se prenant pas trop au sérieux mais jouant de cette partition, l’orchestre remet Salieri dans la course et séduit le public par les qualités individuelles de ses musiciens.
Beethoven, le leader
Pour le troisième concerto de la soirée (!), Kirill Gerstein se lance dans le Concerto pour piano n°2 de Beethoven – le plus mozartien du compositeur. C’est sans aucun doute ici que le pianiste convainc le plus, car c’est ici que l’équilibre avec l’orchestre se fait le mieux. Dirigeant moins, le soliste déploie un son plus plein, plus profond, et avec un beau relief de jeu entre la main droite et la main gauche. Il y a du corps dans cette interprétation, de même qu’une force tranquille, même lorsque l’orchestre s’agite ; ce dernier se lance ainsi dans un dialogue plus dense avec le soliste, ne s’alanguissant jamais dans le mouvement lent mais privilégiant, comme tout au long du programme, des phrasés acérés et dynamiques.
Ce concerto domine la soirée, dans le sens où il fait converger les atouts. Mais plutôt qu’une course à la concurrence, ce trio de concertos dessine le moment charnière entre les feux du classicisme et les premières lueurs du Romantisme. Et qui sait, peut-être certains ensembles auront-ils, à l’image de l’Orchestre de chambre de Paris, la bonne idée de célébrer Salieri, en cette année du bicentenaire de sa mort.