DISQUE – Le jeune label Oktav Records se fait fort de mettre en lumière des jeunes artistes, mais aussi des répertoires peu explorés. Il fait coup double avec ce disque où la mezzo Anaïs Bertrand et le pianiste Alexis Gournel sont autant musiciens que conteurs. Envoûtement garanti.
Il y a ce décor, d’abord. Celui d’une grange aux charpentes imposantes et au charme évident, au cœur du massif de l’Aubrac, où même un lieu-dit a pour nom « Le bout du monde », ce qui pose une ambiance. Il y a cette volonté, surtout : celui d’enregistrer là, dans une campagne comme un paradis, un album propice au rêve et à l’émerveillement, qui aurait pour socle des poésies, et pour interprètes des artistes habités par le chant autant que par le verbe.
Tea for two
Telle est donc la genèse de l’album Voir le Jour, dont la création avait d’abord germé à Paris, dans la classe de chant d’Anne Le Bozec. Celle-ci savait tout le talent d’une jeune chanteuse, Anaïs Bertrand, et d’un jeune compositeur, Fabien Touchard, qui avaient déjà pu éprouver leur complicité autour de projets communs. Il fallait donc pouvoir les réunir à nouveau, et immortaliser leur rencontre autour d’un disque auquel se joindrait le pianiste Alexis Gournel. La belle équipe était prête, ne restait plus qu’à mettre le cap sur le bout du monde.
Et le programme, dans tout ça ? L’idée était d’aller vers le rêve et l’onirisme, donc. Quoi de mieux, dès lors, que des mélodies nourries par la poésie… Ainsi de celles signées Fauré, avec son cycle La Chanson d’Eve (1910), évocation d’un premier matin du monde inspirée des écrits du poète belge symboliste Charles Van Lerberghe. En dix chansons, il y est question de la découverte du Paradis, de la fascination à la vue de Roses ardentes en pleine nuit, ou encore de la célébration de cette Eau vivante « qui descend par des pentes douces vers l’océan originel ». De la poésie encore avec les Chansons grises de Reynaldo Hahn, transcription musicale d’écrits de Paul Verlaine, parmi lesquels la fameuse Chanson d’automne (« Les sanglots longs… »), ou encore L’Heure exquise. Verlaine dont s’est aussi inspiré Fabien Touchard lui-même pour composer trois mélodies venant clore le disque sous forme d’un mini-cycle baptisé… « Voir le jour », lui qui se veut l’occasion de célébrer l’art poétique majeur : « La musique, encore et toujours ! ».
Poésie à tout bout de chant
Au cœur de la campagne, voici donc que, à tout bout…de chant, se présentent rimes et quatrains dont la mezzo Anaïs Bertrand s’empare avec une éloquence aussi vibrante qu’habitée. Il s’agit de chanter bien sûr, ce qui est fait avec une voix au timbre d’une exquise suavité, aux intonations évanescentes, jouant bien plus la carte de la sensibilité que celle d’une puissance sonore qui serait ici fort inadaptée. Mais il faut dire et raconter, aussi, et alors se dévoile, mélodie après mélodie, une conteuse magnétique, qui susurre au besoin, hausse (légèrement) le ton si nécessaire, et joue d’une éploration plus vraie que nature à l’évocation de la mort ou de l’automne. Le tout avec un instrument riche d’un souffle long et d’un vibrato tout en maîtrise et générosité, venant rajouter à la poésie d’une déclamation que Verlaine lui-même n’aurait sans doute pas reniée. Une déclamation qui prend des traits franchement psalmodiques, et en tout cas solennels, à l’heure de réciter les vers mis en musique par un Fabien Touchard dont la musique, percutante mais néanmoins mélodieuse, entend surtout se mettre au service de la voix, et donc de la poésie avant toute chose.
Voilà donc un album où le mot et le verbe ont plus que jamais valeur de socle, une chanteuse-conteuse, Anaïs Bertrand, trouvant en Alexis Gournal un accompagnateur idéal. Derrière son piano, celui-ci annonce les ambiances au gré de la force de ses frappes et de ses coups de pédales, sachant tant décrire des paysages de quiétude que des crépuscules pre-mortem. Surtout, l’instrumentiste entend rester, imperturbablement, en parfaite symbiose avec la voix, en des manières de dialogue qui rendent la force littéraire de ces quatrains d’autant plus saisissante.
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Faire rimer musique et poésie ? Plus que jamais, avec cet album, le pari est donc réussi…
C’est pour qui ?
- Pour ceux qui doutaient encore que la musique, c’était une poésie à part entière : à l’écoute de ce disque, la chose est limpide.
- Pour les amateurs d’art lyrique qui, après avoir écouté un peu trop de Wagner ou de Verdi (on ne se refait pas), voudraient en revenir à un peu plus de douceur et de sérénité.
- Pour ceux qui savent dire « Les sanglots longs des violons de l’automne… » sans se rappeler du reste : c’est là l’occasion de réapprendre l’incontournable poème.
Pourquoi on aime :
- Parce qu’une folle impression de bien-être et de sérénité intérieure imprègne l’auditeur à mesure que les plages de ce CD défilent
- Parce que tant de poésie, voilà qui ne peut pas faire de mal à nos âmes malmenées par une actualité souvent bien trop morose
- Parce ce n’est pas tous les jours que l’on peut écouter une œuvre que personne n’a jamais pu entendre jusque-là.