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Salomé à Genève : Opera great again

OPÉRA – Le Grand Théâtre de Genève lance son année 2025 avec Strauss. Non pas le roi de la valse (les fêtes sont finies, hein), mais Richard, le compositeur d’un opéra, Salomé, qui trouve ici une résonnance résolument moderne. Direction les States, pour un spectacle qui perturbe, qui dérange, mais qui fascine et séduit, surtout. 

Mais what ? Une œuvre censée se dérouler voici 2.000 ans, en plein désert de Judée, et qui se trouve finalement transposée dans une soirée de débauche organisée sur le rooftop d’un hôtel new-yorkais ? Il fallait y penser : le metteur en scène Kornél Mundruczó l’a fait. Le Hongrois n’est pas un homme de cinéma pour rien : il en a, de l’imagination à revendre, et pour lui, donc, le propos de Salomé, cet opéra inspiré de l’œuvre d’Oscar Wilde, est assurément atemporel et propre à pouvoir s’ancrer dans notre époque moderne. Le propos ? Celui-ci a au moins le luxe d’être bien moins tarabiscoté que bien d’autres livrets d’opéras.

Salomé : késako ?

En version courte, cela donne ceci : Salomé est la fille d’Herodias et la belle-fille d’Hérode, c’est une jeune femme franchement capricieuse et persuadée d’être irrésistible, alors quand un homme ne cède pas à ses charmes (fut-ce un Prophète), elle se fâche. Et sa sanction est sans appel : que l’on coupe la tête de l’effronté qui ose refuser de la regarder ! 

© Magali Dougados

Shame on him, donc ! Honte à ce pauvre homme qui ose rejeter Salomé, hier princesse juive, et aujourd’hui (en tout cas ici à Genève) jeune fille à papa fréquentant bien plus les sofas des boites de nuit que les bancs des grandes écoles, et qui ne doit guère savoir ce qu’est un Dry January. Il suffit de voir la mise en scène, avec la scénographie ultraréaliste de Monika Korpa, pour s’en convaincre. L’acte unique de l’opéra prend ainsi pour décor ce bar ultra-luxueux perché sur quelque gratte-ciel, avec fauteuils molletonnés et tables basses où le champagne coule à flot, le tout dans une atmosphère rendue brumeuse par les fumées de cigarette (et autres substances illicites)  entre lesquelles des partenaires de débauche se font bisous et caresses très intimes au vu et au su de tous. Il y a la des jeunes, des adultes, et même des supporters de Trump avec leur casquette MAGA (« Make America Gréat Again »), tout ce beau monde se trouvant joyeusement régalé par un  seul homme, Hérode, avec ses cheveux blonds rabattus en frange et sa belle cravate orange. Ce qui rappelle un certain Donald, non ? 

Le show et l’effroi

And then ? Et alors, cela fonctionne ! Ils sont loin, le désert, la Judée, le lac Jourdan. Et l’on est bien dans cette Amérique de tous les excès, où l’on vient même jouer avec une mappemonde géante en forme de ballon façon Chaplin, manière de figurer plus encore l’impérialisme d’un pays et de son dirigeant. Mais ce Trump là ne conquiert pas les terres voisines, il conquiert les femmes, et en premier lieu sa propre belle-fille, qu’il invite à faire le show devant lui (la fameuse Danses des Sept voiles), avant d’abuser d’elle dans l’ascenseur (un viol, mais oui), et de lui apporter sur un plateau d’argent la tête de l’homme s’étant refusé à elle. Une tête géante formidablement représentée, d‘ailleurs, comme si elle avait été réellement sectionnée lors de la « décollation » (dixit le Nouveau testament) de ce mystérieux prophète transformé ici en ivrogne mal fagoté dont on assiste même au début du scalp. Shocking ? Sans doute. Mais le fait est là : l’affaire capte l’attention d’un bout à l’autre. Why ? Parce que cette transposition est poussée jusqu’au bout. Parce qu’ici tout n’est que cynisme et libertinage assumé (au point de voir des corps nus sur scène). Et, surtout, parce qu’il s’agit de faire de cette Salomé l’incarnation absolue d’une jeune femme tourmentée et promise à l’enfer. Un enfer brûlant comme jamais. 

© Magali Dougados

Et sur cette Highway to Hell, donc, Olesya Golovneva est une Salomé plus vraie que nature dans sa manière adolescente de se croire irrésistible face aux hommes, et dans ses façons de danser lascivement entre deux verres pour mieux tourner les têtes. Surtout, il y a cette évolution du personnage, genre de nepobaby d’abord simplement fêtard et aguicheur, et puis franchement psychopathe et en tout cas torturé, évolution qui saisit autant que cette voix large et sonore qui en vient à enivrer elle aussi. La captivante scène de folie finale, d’une quinzaine de minutes, est le sommet dramatique et musical d’une performance haut de gamme. De cette jeune femme qui vire dans le délire total, Gábor Bretz fait donc les frais, lui qui campe ici un Prophète des temps modernes, c’est-à-dire un genre d’ivrogne qui parle un peu trop fort, le tout avec une voix percutante et saisissante, d’une couleur sombre du meilleur effet. 

© Magali Dougados
Highway to hell

And mister Président ? A défaut d’un sosie physique parfait, il trouve en John Daszak un disciple de belle facture, avec ses manières d’arrogance plus vraies que nature et son goût immodéré pour la séduction (des femmes comme du peuple). Vocalement, la voix porte haut et loin, aussi, avec ce ténor sonore qui sait se faire obéir de tous, y compris de sa propre belle-fille pourtant si rebelle. Tanja Ariane Baumgartner est une Hérodiade impitoyable et insensible, jouant d’une froideur qui contraste largement avec une voix chaude que l’on croit ici enrouée par l’abus de cigarette. Le reste du casting se fond lui aussi pleinement dans cette ambiance de dépravation, avec un Matthew Newlin au charismatique et sonore Narraboth, une Ena Pongrac en page d’Hérodias au mezzo chatoyant, et des soldats, juifs et nazaréens devenus ici fêtards invétérés et qui tous font valoir des instruments vocaux autant que des talents théâtraux d’égale belle facture. 

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Last but not least : le chef Jukka-Pekka Saraste, qui dirige là son premier opéra de Strauss, fait bien plus qu’en sortir avec les honneurs. Sous sa houlette, l’Orchestre de la Suisse romande, aux rangs fournis (mais cette intense musique l’exige), sait dépeindre toutes les ambiances, qu’elles soient festives, angoissantes, et puis terrifiantes, à renfort de cordes survoltées, de cuivres triomphateurs et de timbales chevaleresques. Le motif final, tel un orage soudain, est un ultime saisissement dans un spectacle qui a de quoi déranger, choquer même, mais qui réussit finalement l’essentiel : captiver le public (qui applaudit généreusement après une courte huée venue d‘on ne sait où), et provoquer le frisson. Make opera great again : là était sans doute l’objectif de l’équipe artistique de cette Salomé. Le pari est réussi. So, what else ?  

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