CONCERT – David Fray réunit, autour de son professeur Jacques Rouvier, deux autres élèves de la classe, Audrey Vigoureux et Emmanuel Christien, pour offrir un florilège de concertos pour plusieurs claviers du maître baroque qu’il dirige de main – pianistique – de maître.
David Fray dirige depuis son piano. Dans chaque rare interstice d’une phrase baroque qui, comme la nature, a horreur du vide, le pianiste imprime ses marques de directeur musical, se tenant au piano, près du premier violon, lui parlant presque à l’oreille. Il est vrai que la musique du baroque tardif, au système bien huilé, au cadre mesuré, à la dynamique probable, calibrée et symétrique permet la direction depuis l’instrument, notamment le clavier, dans sa fonction de remplissage harmonique ou de soliste.
Fray, chef de bande
Fray lance, en orateur, ses longs bras, ses index comme des pointes de compas, leur faisant tracer de grands cercles, comme pour arracher la musique, l’interrompre presque sauvagement, à l’immensité du silence. Cette tension entre musique et silence se révèle également dans son jeu contrasté sur le plan des dynamiques, faisant du clavier de Bach un piano forte, une source d’expressivité plus que de transcendance. Fray, pianiste permanent des cinq opus, privilégie la fluidité, la souplesse, l’ondulation, l’introspection dans la lenteur, l’exaltation et ses habiles échappées dans la vélocité. En résulte, notamment dans le premier concerto, une sonorité ouatée, nimbée, moelleuse côté piano, qui contraste avec le vif des cordes, peu vibrées. Son assise, sur une chaise plutôt qu’un tabouret peut signifier l’appropriation intime, la quotidienneté du rapport entretenu par le pianiste avec son instrument. Autant Rouvier se penche vers le clavier, lui offrant sa force tranquille, autant Fray se tient en retrait : on a pas la même posture, mais on a la même passion.
Pas de clavecin ? Pas grave, on va s’arranger…
L’Orchestre de chambre de Paris, actuellement en résidence à la Philharmonie de Paris, n’est pas la formation d’origine de l’enregistrement du programme chez Warner en 2018, avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Il ne cherche pas non plus à s’inscrire dans le sillage sonore rêvé de l’ensemble Collegium musicum, que Bach dirige à partir de 1723. Il assume une sonorité pure et homogène, bien tempérée. L’esprit de géométrie, déjà perceptible dans le nombre équilibré des membres de l’orchestre (16 cordes), résiste à la tentation de l’épanchement lyrique et subjectif.
Un Rouvier, souverainement serein, imprime ses carrures énergiquement soclées, vigoureuses et fermes, de manière audible et visible, comme s’il proposait une autre forme de direction musicale, restituant l’entêtement de cette musique vers l’équilibre et l’universalité. Au fur et à mesure de l’épaississement et de l’affermissement de la texture, par ajout d’un clavier, l’expérience est de plus en plus troublante pour l’auditeur : il ne sait plus d’où provient le son du piano, il ne sait plus qui joue quoi ! Le Concerto pour quatre claviers exprime la libération des forces, l’interchangeabilité des protagonistes.
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L’auditeur, s’il ne sait plus à quel pianiste se vouer, entre bien dans la manière dont Bach entend la musique, la perfectionne, quel que soit le dispositif instrumental. Le compositeur-arrangeur glisse du violon ou du hautbois au piano avec l’aisance que lui procure sa maîtrise majuscule de l’écriture. Ainsi son Concerto pour deux violons, son Concerto pour violon et hautbois, le Concerto pour quatre violons de L’estro armonico de Vivaldi sont-ils l’objet d’une véritable OPA instrumentale.
Demandez le programme !
J.S. Bach :
- Concerto pour 2 claviers en do majeur, BWV 1061 (David Fray & Jacques Rouvier)
- Concerto pour 2 claviers en do mineur, BWV 1062 (David Fray & Audrey Vigoureux)
- Concerto pour 2 claviers en do mineur, BWV 1060 (David Fray & Emmanuel Christien)
- Concerto pour 3 claviers en ré mineur, BWV 1063 (David Fray, Jacques Rouvier & Emmanuel Christien)
- Concerto pour 4 claviers en la mineur, BWV 1065 (Tous)