RÉCITAL – Au conservatoire d’Avignon, Juliette Mey et Héloïse Poulet, finalistes de l’édition 2023 du concours Voix Nouvelles donnent un récital lyrique accompagnées par le pianiste Rodolphe Lospied.
Ah, qu’ils peuvent être barbants les récitals où les chanteurs, les yeux rivés sur leur partition enchainent les airs sans un regard pour le public… Et bien c’est exactement l’inverse que nous proposent aujourd’hui la soprano Héloïse Poulet, la mezzo-soprano Juliette Mey et le pianiste Rodolphe Lospied ! Ils offrent un programme vivifiant et aussi varié que le panel impressionnant de leur expressivité musicale.
Voyage Voyage dans l’espace inouï de l’Histoire de la musique
Le programme se consacre quasi-exclusivement à des extraits d’opéras ou d’oratorio (à l’exception des morceaux de piano et de la chanson The girl in 14G de la compositrice américaine contemporaine Jeanine Tesori). Il s’étend du baroque au XXème siècle en passant par Mozart, l’opérette, le grand opéra français ou le vérisme de Puccini. Il montre ainsi s’il en est besoin, la polyvalence et l’éclectisme de ces trois artistes qui s’emploient à faire vivre chacun des extraits avec un éclat aussi intense que celui des robes assorties, rouge écarlate des deux chanteuses. Elles donnent l’ensemble du programme par cœur sans partition (à l’exception de la Barcarolle des Contes d’Hoffmann en bis), ce qui libère leur jeu et leur permet d’habiter le chant. Elles rythment ainsi le récital de leurs entrées dynamiques comme elles le subliment de leur complicité touchante, tant vocale que gestuelle.
Susanna dans les DM du Comte Almaviva
Une touche de modernité est même apportée au « Sull’aria » des Noces de Figaro dans lequel Susanna et la comtesse, équipées d’un portable écrivent au comte un message direct plutôt qu’une lettre de rendez-vous. L’excellente projection des deux chanteuses emplit plus que largement le petit amphithéâtre et permet ainsi de saisir le public par l’intensité des notes des plus fortes. Elle s’avère équilibrée dans les duos, permettant à chacune des deux chanteuses de se faire entendre également. C’est d’autant plus appréciable dans les textes français où à l’équilibre des voix s’ajoute la qualité de la diction qui permet de comprendre chaque mot à tout instant.
Tempête baroque et poitrine qui s’envole

Dans les airs solos, Juliette Mey s’illustre notamment par le mordant franc de ses graves, la justesse des aigus a capella du « una voce poco fa » captivant autant dans le chant que dans la profondeur du regard, la dynamique entrainante de son « non so piu » avec des ornements subtils soulignant le trouble du personnage et surtout la flamboyance de sa Juditha dans l’« Armatae face et anguibus ». Il constitue une véritable tempête vocale où la virtuosité des aigus perçants tranche avec les graves aussi profonds que cinglants, le tout emporté dans une énergie électrique appuyée par l’assurance et les accentuations du piano.

La sensibilité d’Héloïse Poulet transparait de son « O moi bambino caro » délicatement ornementé par un subtil grelot sur les fins de répliques. La clarté poétique du jeu de Rodolphe Lospied renforce par ailleurs l’effet produit par ce morceau. Les contrastes dramatiques atteignent leur apogée dans « Non, Monsieur mon mari » des Mamelles de Tirésias. L’évasion des aigus rêveurs alternent avec l’urgence de la revendication féministe qui ressort de l’énergie du chant. Le bouleversement causé par la transition de genre que subit le personnage est incarné par le phrasé comme les inflexions de la voix. Il est appuyé par l’intensité crescendo du piano depuis lequel Rodolphe Lospied donne lui-même la réplique en prononçant quelques phrases. Enfin dans the girl in 14G, la soprano passe avec la plus grande fluidité des vocalises complexes de l’opéra aux rythmes accentués de Broadway, et ses lignes de chants aussi limpides que directes.
Demandez le programme (partiel) !
Extraits de :
- A. Vivaldi – Juditha Triumphans
- W.A. Mozart – Les Noces de Figaro
- G. Puccini – Gianni Schichi
- F. Poulenc – Les Mamelles de Tirésias
- J. Tesori – The girl in 14G

