OPÉRA ? – Entre pudeur scénique, lyrisme discret et quête mystique, Le Paradis et la Péri de Schumann s’élève en douceur à la Seine Musicale. Un oratorio rare, servi avec sobriété et grâce par Laurence Equilbey et une distribution sensible. Mais alors, quelle est la recette du succès ? Comment atteindre le pardon pour faire d’une œuvre un rêve étoilé ? Daniela Kerck nous montre la voie.
1. Le produit : brut
Pour cette première étape, il vous faudra un bon économe. Commencez par débarrasser le superflu : ici, pas de grand fracas, pas de rideau qui claque, pas de décor à faire tourner les têtes. À la place : un grand espace nu, quelques pans de tissu, des ombres, et la lente apparition d’une silhouette projetée. C’est dans cette économie de moyens que Le Paradis et la Péri prend vie – une œuvre de Robert Schumann rarement donnée sur scène, et pour cause : ce n’est ni un opéra, ni un pur oratorio, mais quelque chose entre les deux. Schumann n’a pas donné à proprement parler le terme d’oratorio à son œuvre, mais plutôt Dichtung, un mot allemand compliqué à traduire, désignant un processus de création poétique. Un conte mystique sur le pardon, la mort, et le retour à la lumière. Première épure.
2. La part des anges
Une fois la chair atteinte, il faudra être attentif, car le sens profond peut vite s’échapper. Il est caché ici, derrière les voiles pudiques de la mise en scène de Daniela Kerck, sobre, appuyée par les vidéos oniriques d’Astrid Steiner et les lumières feutrées d’Andreas Frank. C’est un univers suspendu, entre rêve d’Orient et modernité abstraite. Pas d’anges kitsch ni de décors empesés : juste quelques tulles, des projections d’ombres et le corps en mouvement de la danseuse Rosana Ribeiro, discrète « Péri bis », ornée d’une aile blanche qui répondra en écho aux tourments de sa double chantante, complétée de l’aile manquante. Joli clin d’œil d’Andrea Schmidt-Futterer (costumes), qui exclut l’or fardé de l’Orient sans en renier les parures. Il faut imaginer des drapés persans rêvés par un styliste scandinave : c’est simple, graphique, et ça laisse parler la musique.

3. Une cheffe 3 étoiles : Equilbey, la main et l’ombre
À la baguette, Laurence Equilbey conduit l’Insula Orchestra avec souplesse et précision. Les textures de Schumann gagnent ici en clarté et en légèreté. Elle dose avec finesse les contrastes, tisse les transitions, ménage les élans. Une lecture tendue vers l’épure, mais qui sait faire chanter les moments de grâce. Le chœur Accentus (préparé par Albert Horne), d’une cohésion exemplaire, porte la spiritualité du récit avec une justesse émotionnelle rare – jamais démonstrative, toujours habitée.
4. L’ingrédient secret
La Péri, esprit oriental tombé du Ciel, cherche à y remonter. Mais le Paradis, ça se mérite ! Il lui faudra donc la bonne offrande. Une goutte de sang versé pour la liberté ? Refusé. Le dernier soupir d’un pestiféré ? Trop sombre. Ce sera finalement une larme de pardon, discrète, humaine, bouleversante. Toute la beauté de l’oratorio tient dans cette montée lente et humble, vers une rédemption sans fracas. Rien n’est spectaculaire. Tout est sensible.

Résultat : des convives aux anges
Dans le rôle-titre, Mandy Fredrich donne corps à cette créature céleste, sans l’alourdir de pathos. Son timbre lumineux, au vibrato souple, dessine une Péri plus humaine que mystique, avec une ligne de chant toujours maîtrisée, mais jamais froide. La sobriété de son jeu, combinée à la délicatesse de sa projection, porte le cœur de l’oratorio : cette larme minuscule, bouleversante d’humilité. Pour raconter cette histoire, servant à merveille les élans narratifs de l’œuvre : Sebastian Kohlhepp.
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À ses côtés, une galerie d’âmes humaines encore empêtrées dans leurs souffrances terrestres : Agata Schmidt, à la présence vocale enveloppante, Samuel Hasselhorn au lyrisme contenu, Clara Guillon vibrante d’innocence, Victoire Bunel, ange de velours et de réconfort, Lancelot Lamotte au timbre clair, et Julien Clément, habité.

Dans ce Paradis et la Péri, pas de foudre divine, pas d’apothéose symphonique. Mais une montée patiente, fragile, qui préfère le murmure à la clameur. La dernière note ne transperce pas le ciel : elle s’évapore. Et c’est peut-être ça, finalement, la recette du miracle.

