Job, la question sans réponse

OPÉRA – Le public de la Cité Bleue Genève avait rendez-vous avec une création pour cette fin de saison 24-25. Job, le procès de Dieu s’attaque au mythe biblique à la sauce Petrossian, compositeur de cette légende qui raconte l’injustice, et qui la conjugue à tous les temps.

Stepanakerk, Chareqtar, Keriya : vous ne connaissez pas les noms de ces villes. Et pourtant, à l’heure où vous lisez ces lignes, l’injustice y frappe. Le fort asservit le faible, des familles sont amputées de leurs membres, et des soldats gardent les téléphones de leurs victimes pour empêcher les mères de faire leur deuil. Un appel de temps en temps, pour entretenir l’illusion du retour en faisant apparaître un nom sur un écran. La torture 2.0.

© Giulia Charbit La Cité Bleue

Un mal pour un rien

Dans la Bible aussi, un homme a vécu l’injustice : Job. Pas très longtemps après Adam, premier homme, est apparu Job, première victime de la trahison divine. Pourquoi le tyran céleste a-t-il fait souffrir l’un de ses plus fidèles serviteurs ? Pourquoi a-t-il fait voler ses bêtes et pourrir ses récoltes ? Pourquoi a-t-il fait mourir ses enfants ? Pour rien, sûrement…

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Alors s’enclenche chez Job le syndrome de la perversité : ce qu’on appelle aujourd’hui une relation toxique émerge des décombres d’une vie brisée. « Si Dieu est parfait comme je le crois, alors c’est qu’il m’a puni de quelque chose. » Mais de quoi ? Là est la question. Et là est le drame qui se joue devant nos yeux à la Cité Bleue. Mais aussi à Stepanakerk, Chareqtar, Keriya. Ces villes que vous ne connaissez toujours pas.

Le poison de l’oubli

L’injustice est donc au cœur de l’Opéra qui vient de naître à Genève, devant la foule curieuse d’entendre une « créa », comme on dit dans le métier quand on veut être léger. Comme si créer dans le monde d’aujourd’hui pouvait se passer de regarder ses horreurs, que Michel ne connaît que trop bien.

© Giulia Charbit La Cité Bleue

Michel Petrossian est un compositeur français, que vous avez peut-être découvert dans notre reportage dans les coulisses de la création de Job, le procès de Dieu. Mais comme son nom vous l’a laissé deviner il est arménien aussi, né à Erevan. Alors il sait de quoi il parle. Oui, parce que Chareqtar, vous ne le savez toujours pas, mais c’est en Arménie. Et c’est aujourd’hui. Preuve que cent ans après le génocide ottoman l’Arménie souffre encore, et qu’à l’ère de l’anthropocène, la foudre peut frapper deux fois au même endroit. Ne l’oublions pas.

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Sous les décombres

Alors on pourra dire mille choses sur cet opéra. On pourra saluer un cast héroïque qui a su se hisser à la hauteur du mythe. On pourra parler de leur son de chœur magique émanant des coulisses. On retiendra quelques beaux mots du livret, l’humour qui s’y invite par touches, et les couleurs nouvelles que Michel Petrossian a peintes avec de l’ancien. On admirera ces instruments du « XIXe siècle… avant Jésus-Christ » comme il s’amuse à dire, et qui nous plongent dans le monde archaïque de la Bible. On choisira entre « sobre » et « chiche » pour qualifier la mise en scène, et on s’étonnera de la poésie d’un sac plastique.

© Giulia Charbit La Cité Bleue

Mais rien ne pourra nous défaire de cette impression d’avoir, dès les premières notes du prologue, plongé dans une brume épaisse où la lumière ne peut entrer qu’en forçant sa nature. Dans cette fumée toxique de son et de matière emmêlés, dans les décombres d’une vie brisée et dans la quête impossible de la vérité, une question reste, posée par Job en même temps que les habitants de Stepanakerk, Chareqtar ou Keriya : « Pourquoi moi ? »

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2 Commentaires

  1. Ce « cast héroïque » aurait sans doute mérité de ne pas être effacé de la sorte… pas un mot de plus à propos des chanteurs dans une critique d’opéra ?!

    • Bonjour cher Raphaël,

      Votre remarque est très juste, et vous n’êtes pas le seul à nous la faire. Comme pour beaucoup de productions que nous couvrons, notre petite équipe voyage sur deux jambes. Si la charte éditoriale de Classykêo vise plutôt à rendre compte de la force d’un projet artistique en en tirant la substantifique moelle, celle d’Ôlyrix, notre site frère s’attache en revanche à mentionner en détail sa dimension vocale. Vous trouverez dans l’article d’Alexandre Valette ci-dessous tout ce que vous recherchez !

      https://urlr.me/g8em6p

      Bien à vous,
      La Rédaction

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