DANSE – Quand la metteuse en scène flamande Lisaboa Houbrechts s’attaque à la célèbre pièce de Brecht, « Mère Courage », cela donne une adaptation à la scénographie puissante, bien que le texte et le jeu des acteurs ne soient pas toujours à la hauteur du choc visuel. Une expérience théâtrale marquante à découvrir au Théâtre de la Ville.
Dans le cadre des Chantiers d’Europe, initiative lancée en 2010 par Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville pour valoriser de jeunes artistes européens qui interrogent notre époque, la brillante metteuse en scène flamande Lisaboa Houbrechts revisite l’œuvre emblématique de Bertolt Brecht, Mère Courage.
Mère pillage
Brecht situe son récit durant la guerre de Trente Ans (1618-1648), conflit religieux majeur qui opposa catholiques et protestants à travers l’Europe. Au centre de ce chaos évolue une vieille femme complexe : une cantinière arriviste surnommée Mère Courage, prête à tout pour gagner son sou. Ainsi, avec sa carriole, elle parcourt les champs de bataille, récupérant et revendant tout ce qu’elle trouve pour faire vivre ses deux fils et sa fille muette. Mais comme on peut s’y attendre, sa proximité avec la guerre s’avèrera fatale : son commerce lucratif causera progressivement la mort de tous ses enfants.

Entre amour de l’argent et instinct maternel, le personnage de Mère Courage nous fascine encore aujourd’hui par sa dualité. À la fois courageuse et perfide, insoumise et prête aux compromis, elle est capable du meilleur comme du pire. Laetitia Dosch livre une interprétation nuancée de cette femme combattante et vulnérable, questionnant le défi d’être une mère protectrice en temps de guerre.
Une scénographie qui claque !
L’aspect le plus frappant de cette adaptation réside dans sa scénographie radicalement dépouillée. Houbrechts s’inspire du tableau « Margot la folle » de Bruegel, œuvre pillée par les Suédois pendant la guerre de trente ans, pour créer un univers visuel saisissant. Abandonnant la traditionnelle charrette, la metteuse en scène place au centre de la scène une sphère imposante de 300 kg et de 3 m de diamètre. Cette boule noire, évoquant tantôt un boulet de canon, tantôt un globe terrestre, est traînée par Mère Courage et ses enfants sur une scène entièrement recouverte d’eau. Cette grande piscine génère reflets et sonorités, amplifiés notamment par la chute brutale de planches de bois qui imitent les détonations d’armes à feu. Ces jeux de lumière et ce miroir d’eau nous rappellent l’une des dernières créations de Bianca Li ou celles de Bob Wilson : une esthétique contemplative puissante.
Chants du monde
Pour souligner l’universalité de cette tragédie guerrière, Houbrechts a constitué une distribution multilingue, mêlant français, néerlandais, kurde et hébreu. Les interventions du musicien Aydin Ìşleyen à la voix envoûtante qui interprète également l’un des fils nous offrent des moments d’une poésie saisissante grâce à ses chants kurdes sur la musique de de l’allemand Paul Dessau. Lisi Estaras et Laura De Geest livrent des performances remarquables : la première en fille muette dont la mort mise en scène sous des effets stroboscopiques et chorégraphie exaltée, offre une scène de pietà bouleversante ; la seconde en amie fidèle contrainte à la prostitution pour survivre.

Certains cafouillages dans le texte sont perceptibles et les chants a capella manquent parfois d’inspiration, créant des longueurs qui peuvent décrocher l’attention du spectateur qui consulte discrètement sa montre. Et puis pour les néophytes de Brecht, la compréhension peut s’avérer difficile avec un rythme souvent inégal et un léger ennui.
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Malgré ces réserves, cette adaptation marque durablement l’imaginaire en créant des images contemplatives fortes qui résonnent longtemps après le spectacle. Elles s’incrustent dans notre inconscient avec une sensation nauséabonde, nous rappelant que la guerre omniprésente, infiltre sournoisement nos relations les plus intimes.

