AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueDon Giovanni double le malaise à Aix

Don Giovanni double le malaise à Aix

FESTIVAL – Pour sa première proposition dans le monde lyrique, le metteur en scène britannique Robert Icke imagine un Don Giovanni radicalement « fêlé », traversé par une faille psychologique profonde. Il la matérialise par une scénographie à deux étages, la dramaturgie (Don Giovanni est le Commandeur), la psychologie (pulsions de vie et de mort). À la tête de l’Orchestre de la Radio Bavaroise, Sir Simon Rattle accorde à cette vision le secours un brin invasif de la fosse.

Au début puis à la fin du drame : un Commandeur, alias Don Giovanni, qui n’en finit pas d’agoniser. Le thème de la fin de vie et de sa médicalisation traverse une mise en scène marquée par le questionnement éthique et bioéthique. Les voilages, mobilisés en permanence, sont une surface de projection vidéo en noir et blanc (Tal Yarden) qui saisit les visages et les corps de femmes traumatisés par Don Giovanni. Telle une illustration hallucinée et morbide de l’air du catalogue, en plus d’un véritable défilé de miss, le climat est troublant, alors que les lumières de James Farncombe assurent avec précision la fission scénique.

© Monika Ritterhaus

Dans cette lecture, les personnages semblent jouer aux échecs en grandeur nature sur un damier macabre. Robert Icke propose une lecture psychologique aux confins de la psyché, Don Giovanni étant directement confronté à son image vieillie et à sa mort. Le plateau vocal y répond comme un seul homme, presque chaque protagoniste étant doté de deux airs. Dans la fosse, Sir Simon Rattle offre une direction musicale limpide, parfois invasive, en osmose et en dialogue avec le plateau.

Chacun cherche son double

Le baryton italien Andrè Schuen est un Don Giovanni sombre, charismatique dans la séduction et borderline dans la manipulation. Le personnage est double intérieurement et extérieurement, incapable dans son ambivalence de dire qui il est vraiment. Sa doublure extérieure n’est autre que le Commandeur, spectre blanc qui hante le plateau, réel ou rêvé. Sa ductilité physique (épaulée par un cascadeur qui annonce la chute finale dans une dégringolade mémorable) le conduit d’une rive à l’autre de la vie, entre puissance raisonnante et folie démesurée. Son timbre de braise, se situe juste à son point de devenir cendre : testament libertin, signé jusqu’au bout de la mort. À ses côtés, en miroir fêlé, le baryton-basse Krzysztof Baczyk s’impose en Leporello : haute stature et élégance vocale. Il est le soubassement ferme des ensembles vocaux, le ciment léger de l’esprit bouffe.

© Monika Ritterhaus

Le personnage noble de Donna Anna est confié à Golda Schultz, en miroir de Donna Elvira, comme de Don Ottavio. Le ruban de velours de sa voix permet d’évoquer l’insupportable, tandis qu’une petite fille apparaît et réapparaît sur scène. Si on veut interpréter la présence de cette figurante troublante, on dira qu’elle représente son enfant intérieur, irrémédiablement blessé.

L’autre rôle saillant est celui du Commandeur, le double vieilli de Don Giovanni, très exposé scéniquement. La basse Clive Bayley l’accomplit avec une retenue et une puissance spectrale, entre l’ici-bas et l’au-delà. Sans surchanter, il s’adresse comme main dans la main à Don Giovanni, avec une compassion qui ne cède en rien à la droiture.

Commandeur décommandé

Aux côtés de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise (BRSO), Sir Simon Rattle est comme un artiste à son atelier, main dans la main avec le metteur en scène. Sa gestuelle est énergique, suave et percussive. Les choix de tempo impriment – coûte que coûte – la sage légèreté de Mozart. Les accents des différents pupitres, à partir d’un travail minutieux des dynamiques, semblent crever le sol de la scène pour s’emparer du corps vocal des protagonistes. Le chef permet à la fosse d’unifier la partition depuis ses contrastes, résolvant la quadrature du cercle évoquée par un Leporello à court d’arguments.

© Monika Ritterhaus

Un autre fait marquant côté musical : le chœur amplifie le « si » du Commandeur, pour faire de ce moment de bascule dans le fantastique une vraie surprise, non seulement pour Don Giovanni et Leporello, mais pour le public entier !

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Cette thématique du double, dérangeante (notamment avec la présence d’une enfant dans une scène ambiguë), en ce qu’elle renvoie au diable, trouve en permanence à s’unifier par le chant humain, mis à nu par l’épure glaçante de la scénographie. Le public reçoit cette proposition avec le trouble qui accompagne la traversée d’un miroir…

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