FESTIVAL – Le festival Nuits Pianistiques* ouvre sa 33ème édition à l’auditorium Campra d’Aix-en-Provence avec un récital de Jean Dubé qui ne manque pas d’arguments pour séduire son public.
Quand il s’agit de romance, le romantisme n’est jamais très loin. Le rendez-vous galant proposé s’articule donc autour d’œuvres du XIXème siècle. La première partie du concert est constituée de la Suite Holberg de Grieg, de quatre des Chants d’Espagne d’Albeniz et de la Barcarolle de Chopin. La seconde est consacrée aux transcriptions d’opéra de Liszt avec un florilège de Tannhäuser, de Rigoletto et bien sûr… de Don Juan !
De Séville à Venise par la mer du Nord : lunes de miel…
Le pianiste lance le prélude de la Suite Holberg avec une rondeur et une résonance immersives qui emportent immédiatement le public avec lui. La chaleur du jeu est tempérée par les motifs frais et limpides que vient déposer la main gauche sur le thème principal. Il continue ensuite de promener son public dans la Scandinavie des romans d’Holberg. Lente mais sans lourdeur, la Sarabande trouve le juste équilibre entre soleil et spleen, entre farniente et nostalgie. De la même manière, l’Air allie avec justesse la légèreté du geste et la profondeur du sentiment. Il emmène ensuite ses prétendants en Espagne. Le rythme précis des ostinatos du prélude des Chants d’Espagne évolue de façon finement calibrée, trouvant le juste instant pour recevoir les accords plus durs qui viennent s’intercaler en contraste. Jean Dubé donne à la Séguidille sa brillance et son entrain par l’énergie lumineuse de son interprétation dont la ferveur progresse au fil du morceau. Il embarque ensuite l’assistance dans la Barcarolle de Chopin. La profondeur du grave y crée une ambiance douce-amère avec la délicatesse cristalline des touches d’aigus et la rondeur générale du morceau.
L’opéra au bout des doigts
Ce qui séduit ce soir dans le jeu de Jean Dubé, c’est probablement son autorité naturelle. Il s’impose par son intensité sans avoir besoin de crier. Les accentuations sont affirmées avec fermeté mais sans effets de manche, tout en laissant la place à la clarté d’ensemble du discours. Et c’est sûrement ça la qui rend ses personnages si éloquents dans les transcriptions d’opéra. La sensibilité de Wolfram ressort de l’interprétation même s’il manque peut-être un peu de noirceur pour exprimer l’amertume que dissimule cet amoureux déçu derrière sa poésie. Dans la paraphrase sur Rigoletto, la fulgurance du jeu passionne les mélodies verdiennes. Elle se conclut avec un accord final profondément résonnant. L’abîme caractérisant la dépravation de l’âme de Don Giovanni transparaît de la ténébreuse introduction des Réminiscences de Don Juan.
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La justesse du rythme forme la spirale infernale du personnage, et un peu plus loin, les accentuations pertinentes donnent le ton espiègle approprié au « La ci darem la mano ». Et en bon Don Juan de la soirée, Jean Dubé met autant d’aplomb que de brillance dans l’enivrant « Fin ch’han dal vino ». De quoi donner grande soif pour profiter encore des rappels dont la Ronde des lutins de Liszt avec ses créatures, qui sous les doigts de Jean Dubé paraissent courir aussi vite que Don Giovanni après les maîtresses… Ou que les maîtresses elles-mêmes pour le fuir…
*Par souci déontologique, la rédaction de Classykêo précise qu’une de ses contributrices, Florence Lethurgez, est co-organisatrice des Nuits Pianistiques. Florence ne s’est impliquée en aucune manière dans la couverture de ce concert.

