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Antigone à la Philharmonie : la chaîne du froid

OPÉRA — Face à l’Antigone de Pascal Dusapin, dirigée par Klaus Mäkelä et mise en scène par Netia Jones à la Philharmonie de Paris, on ressort partagés : une scénographie monumentale mais figée, qui nous a laissé à distance, contrebalancée par une direction musicale âpre et habitée, soutenant des voix aux caractères nettement dessinés.

Brûler d’impatience

Assister à un spectacle est une chose, découvrir une création en est une autre. On n’arrive pas avec les mêmes repères, ni la même disponibilité d’écoute. Au lieu de fredonner mentalement un air attendu, on se laisse gagner par une curiosité impatiente, désireux de savoir comment ce vide sera comblé. Et lorsque ce vide promet d’être rempli par la musique de Pascal Dusapin (dont on a a-do-ré Il Viaggio Dante à Garnier l’an passé), inutile de dire que les attentes sont grandes. Nous voilà donc très curieux de voir la forme que va prendre cette Antigone, musicalement et scéniquement.

Ni chaud ni froid

La scénographie de Netia Jones s’impose par une certaine monumentalité. Six colonnes blanches massives occupent la moitié du plateau, couvertes de projections lumineuses ou d’ombres insinuantes, selon le déroulé de l’intrigue. Devant elles, une avancée vers le public accueille un arc de micros, rangés comme pour une conférence de presse, tandis qu’un poteau solitaire soutient deux écrans où apparaissent, filmés en direct et retravaillés, les visages des chanteurs s’adressant à la foule imaginaire. En contrebas, la fosse orchestrale, semblable à une mer d’instrumentistes.

© Cordula Treml.

La symbolique archaïsante du temple n’échappe à personne, mais on en trouve vite la structure envahissante : les colonnes réduisent la zone de jeu à une étroite bande. La référence antique s’efface alors derrière une contrainte purement scénique, qui peu à peu bride l’énergie dramatique. À l’opposé, la symbolique des micros fonctionne mieux, dessinant une frontière stimulante entre l’espace intime (où commence le drame) et l’espace public (où commence le politique). Dans cette logique, déchirée entre ce qu’elle doit à son frère Polynice et l’ordre imposé par Créon de ne pas l’enterrer, Antigone s’empare d’un micro dès son entrée pour le jeter furieusement au sol. Une trouvaille simple, mais d’une efficacité dramatique qui nous plaît bien !

Engourdissement

Mais ces gestes sont trop rares et la dynamique globale peine à trouver un équilibre, entre fixité et restriction de l’espace de jeu, contraignant de ce fait l’intrigue elle-même, dont la violence et l’émotion ne semblent jamais investies jusqu’au bout. S’ensuit une forme de torpeur où l’hermétisme scénique prend le pas sur ce qui pourtant, dans la fosse, bouillonne, sans que ce décalage ne soit porteur d’autre chose que de lui-même.

Sous le froid couve la braise

À l’inverse, Klaus Mäkelä offre une direction qui rend pleinement hommage à la violence et à la dureté de la partition. Très peu de tendresse ici : une musique qui apparaît comme un océan cyclique, noir et tourmenté, peuplé de percussions austères, d’une flûte égarée et d’une sécheresse instrumentale qui, peu à peu, emporte Antigone, Hémon et Créon dans la dérive tragique.

© Cordula Treml.

Seuls quelques passages, lorsque Hémon parle d’Antigone, lorsqu’Antigone parle de son frère Polynice, lorsque Ismène supplie sa sœur, portent une relative douceur, l’orchestre, aidé des cordes, se faisant alors plus tendre, comme une éclaircie fugace dans la tempête. Ces rouages dont on ne peut pas réfréner l’avancée, le chef en fait ressortir la dureté avec une ferveur et une précision qui, parfois, font presque regretter la qualité de l’acoustique : le son devient tellement fort, la situation tellement intense, qu’il nous vient l’envie de nous boucher les oreilles !

Flammes vocales

Sur ce flot virulent, la voix de Christel Loetzsch impressionne dans le rôle-titre. S’étirant sans peine des graves gutturaux jusqu’aux aigus cristallins, elle dépeint l’obstination d’Antigone, notamment dans son monologue, où la chanteuse transmet la complexité du personnage, acculée entre l’honneur de sa famille et les lois terrestres, dans un engagement physique et dramatique entiers.

© Cordula Treml.

À ses côtés ressort le rôle, tout aussi important, de Créon, incarné par Tómas Tómasson. Si la voix est peu audible dans le grave alors que l’écriture de Dusapin y fait régulièrement appel, il n’en reste pas moins un jeu d’acteur accompli et un timbre dont l’intransigeance sied parfaitement au personnage. L’Ismène d’Anna Prohaska possède une clarté vocale qui s’oppose à celle de sa sœur, soulignant d’autant mieux leurs divergences et singularités.

© Cordula Treml.

Le Hémon de Thomas Atkins, hésitant d’abord, s’oppose à son père avec une projection métallique et dense qui, entre guerrier et amant, dessine l’ambiguïté d’un personnage luttant entre soumission filiale et fidélité amoureuse. Enfin, Jarrett Ott (messager), Edwin Crossley-Mercer (Tirésias) et Serge Kakudji (Coryphée) complètent le plateau avec des voix aux couleurs dissociables et aux timbres suffisamment marqués pour que leurs brèves interventions apportent une caractérisation et une substance à leur rôle respectif.

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Tiède

Au sortir de la représentation, on garde la sensation d’un spectacle déséquilibré, comme traversé par deux forces contraires. D’un côté, une scénographie qui fige plus qu’elle n’élève, laissant parfois l’intrigue s’engourdir. De l’autre, une direction musicale et des voix incandescentes. Entre ces deux pôles, ce qu’on retient surtout, c’est l’impression que la musique et les interprètes ont porté presque à eux seuls l’émotion de l’opératorio, là où la mise en espace n’a pas su lui donner tout l’élan qu’il méritait.

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