OPÉRA – À la Philharmonie de Paris, c’est Philip Glass en version de concert que nous propose l’Orchestre Philharmonique de Nice, sous la direction de Léo Warynski. Un Akhnaten enthousiasmant, et qui trouve un souffle dramaturgique malgré les contraintes du concert.
Après Satyagraha et Einstein on the Beach, le compositeur américain Philip Glass clôt, en 1983, sa trilogie lyrique consacrée aux grands hommes qui ont changé le monde : cet opéra sera Akhnaten – comprenez le pharaon Akhénaton –, œuvre qui crée des ponts entre les époques, mais ne semble nullement avoir vieilli.
Le retour de la momie
C’est à un pharaon né aux alentours de -1371 que Philip Glass consacre cette œuvre, désormais classique de la scène lyrique ; et pour pousser la véracité historique à son apogée, il choisit même la VO : ce sont ainsi des poèmes d’Akhénaton qui constituent le livret, accompagnés de lettres de l’époque et d’extraits en hébreu biblique et en akkadien. Glass ayant le sens de l’histoire et de l’Histoire, l’opéra se termine sur des ruines, hantées par les esprits du pharaon et de sa femme Néfertiti – le tout accompagné d’une partition totalement ancrée dans les années 1980. En effet, le compositeur y poursuit son exploration de la musique répétitive et donne à l’orchestre, avec la présence du synthétiseur, des couleurs tout à fait contemporaines. Un voyage dans le temps, non pas linéaire, mais où les époques se superposent.

Tempi vivants pour langues mortes
Avec un livret fragmenté, qui ne raconte pas véritablement l’histoire du héros mais évoque seulement des moments clés de sa vie, on aurait pu craindre que la version de concert ne soit un format mal adapté. En réalité, la direction de Léo Warynski a suffisamment de relief et d’expressivité pour ne pas du tout faire ressentir le manque de la scène. Il y a dans la musique répétitive de Philip Glass, et sans doute aussi dans les langues mortes, quelque chose de l’ordre de l’incantation, qui évite l’écueil du ressassement pour aller plutôt vers la transe.

On entend surtout que le chef, l’orchestre, le chœur et la quasi-totalité des solistes ont déjà joué l’œuvre sur scène, puisqu’il s’agissait de la distribution des représentations à l’Opéra de Nice en 2020 (sans public, Covid oblige) et 2021. Léo Warynski parvient à insuffler du lyrisme et du phrasé dans sa lecture, notamment au début de la scène du couronnement – ce qui n’est pas une évidence avec l’écriture de Glass. Il a surtout un sens dramaturgique, permettant à l’action de se déployer grâce à des tempi soutenus. L’Orchestre Philharmonique de Nice l’accompagne dans cette recherche de souplesse et d’organicité, pour donner à la partition quelque chose d’extrêmement vivant, et non de figé dans l’Histoire : un Akhénaton qui revient véritablement à la vie, et ne reste pas une figure mythique, dans une langue morte et une musique d’une autre décennie.
Machine à traverser le temps

Dans le rôle-titre, le contre-ténor Fabrice di Falco se montre habité par le personnage, laissant la voix se déployer, particulièrement dans l’hymne de l’acte II. Il est surtout accompagné de deux collègues de choix : Patrizia Ciofi est une Tye parfaite, et Julie Robard-Gendre prête à Néfertiti un timbre superbe et un ample vibrato, qui donnent particulièrement de relief au personnage. Le trio formé par Frédéric Cornille (Horemhab), Frédéric Diquero (Le grand prêtre d’Amon) et Vincent Le Texier (Aye) fonctionne également particulièrement bien grâce à l’énergie dramatique qu’il met dans ses interventions, tranchantes et sonores. Et on soulignera évidemment la belle performance du Chœur de l’Opéra de Nice : très homogène entre les pupitres, il n’en garde pas moins un son impactant et efficace, ainsi qu’une diction précise.
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C’est donc un Akhnaten très vibrant et très vivant qui a résonné dans la grande salle Pierre Boulez ; mais cela n’empêche pas de regarder un peu en arrière, grâce à la présence de Lucinda Childs dans le rôle parlé d’Amenhotep. La chorégraphe et metteuse en scène, qui fut l’une des compagnes de route de Philip Glass sur la création d’Einstein on the Beach, fait ainsi le lien entre les époques et est particulièrement applaudie par le public, conquis par la soirée. Et il faut compter, semble-t-il, sur l’Opéra de Nice – qui vient de donner Satyagraha – pour assurer au compositeur un bel avenir sur les scènes françaises.

