COMPOSITRICE – Cette année célèbre le bicentenaire de la naissance de Pauline Viardot. À cette occasion, retour sur le destin incroyable d’une femme qui suscita l’admiration des plus grands compositeurs, écrivains et artistes du XIXe siècle et mis toute l’Europe de l’Atlantique à l’Oural à ses pieds.
Elle était la muse de Chopin, Saint-Saëns, Berlioz, Brahms ou Liszt. Pourtant, il est fort probable que le nom de Pauline Viardot ne vous évoque pas grand-chose. Celle qui était compositrice, cantatrice et pédagogue a marqué le milieu artistique en France et en Europe, au XIXe siècle. Si cette année est celle du bicentenaire de sa naissance dans les faits, peu d’enregistrements, peu de concerts, peu de conférences lui rendent hommages. On cherche Pauline Viardot dans les programmations musicales, mais on a du mal à la trouver.
Le génie en héritage
À l’instar d’autres compositrices célèbres du XIXe siècle, Pauline Viardot plonge dans le grand bain musical dès sa naissance. Son père, Manuel Garcia, est un grand ténor, créateur du rôle du Comte Almaviva dans le Barbier de Séville de Rossini. Sa mère, Joaquína Sitches est elle-même une soprano de talent. Son frère aîné Manuel junior est un baryton, qui abandonne finalement le chant pour l’étude des phénomènes vocaux. Enfin, sa sœur, Maria Malibran, est l’une des plus célèbres cantatrices de son temps.
Comme l’écrit Pauline : “C’est mon père qui m’a appris la musique — quand, je n’en sais rien, car je ne me rappelle pas le temps où je ne la savais pas.” Manuel Garcia père a une ambition dévorante pour ses filles. Et alors que la relation avec la fougueuse et rebelle Maria est orageuse, celle avec la douce Pauline est beaucoup plus apaisée. Si bien que la perte de ce père bienveillant est un véritable choc pour la petite fille.
À sa mort, c’est sa mère qui poursuit de manière implacable l’éducation musicale de l’enfant prodige. Pauline se destine à une carrière de pianiste, et reçoit même l’enseignement de Franz Liszt, dont elle s’entiche, comme toutes les jeunes filles de son âge. Nouveau drame cinq ans plus tard : sa sœur meurt au sommet de la gloire. Elle accepte sans broncher le diktat de sa mère : « Ferme ton piano, tu chanteras désormais. »
Une diva sans comparaison
« La Malibran est revenue au monde, il n’y a pas d’inquiétude à avoir… », affirme Alfred de Musset après le premier concert de Pauline Viardot. Ce qui frappe immédiatement les auditeurs quand Pauline Viardot commença à chanter en public, d’abord dans des salons musicaux, puis sur des scènes lyriques, c’est la proximité entre sa voix et celle de sa sœur. Sous le charme, Musset la demande même en mariage… Mais cette comparaison est un poids pour la cadette des Viardot, contre lequel elle lutte pour s’imposer.
Pauline Viardot est une travailleuse acharnée, qui prépare avec rigueur et méthode chacun de ses rôles, si bien qu’à une technique vocale très sûre, ainsi qu’une voix puissante, expressive et étendue elle ajoute un sens dramatique hors du commun, qui faisait dire à Hector Berlioz : “Son talent est si complet, si varié, il touche à tant de points de l’art, il réunit à tant de science une si entraînante spontanéité, qu’il produit à la fois l’étonnement et l’émotion : il frappe et attendrit, il impose et persuade.”
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Voyages, voyages
Pauline Viardot est une grande voyageuse. Dès l’enfance, elle accompagne son père lors de grandes tournées aux États-Unis et au Mexique. À 4 ans seulement, elle assiste à ses représentations du Barbier de Séville à New York. Mais pour la petite fille qu’elle est, les opéras qu’interprète sa famille lui inspire une fascination mêlée de terreur.
Une fois devenue une cantatrice célèbre, elle part d’elle-même à la conquête de l’Europe. De Paris à Saint-Pétersbourg, en passant par Londres, Rome, et Berlin, Pauline Viardot s’impose dans les grandes capitales européennes.
Puis viennent les années d’exil : d’abord à Baden-Baden dans les années 1860, puis à Londres pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Fuyant le régime autoritaire de Napoléon III aussi bien que les intrigues du petit monde feutré et cruel de la vie culturelle parisienne, les Viardot s’installent dans la ville balnéaire de Bade au printemps 1863.
Sororité
De grandes amitiés lient Viardot aux grandes figures féminines de son époque, George Sand et Clara Schumann. George Sand a presque l’âge d’être sa mère quand elles se rencontrent en 1839. L’écrivaine ressent un choc émotionnel profond quand elle entend Pauline chanter pour la première fois, et très vite elle décide de devenir le mentor de la jeune musicienne. Sand la conseille aussi bien sur le plan professionnel que personnel, allant même jusqu’à arranger son mariage avec Louis Viardot.
Deux années séparent la chanteuse de Clara Schumann. L’amitié de ces deux surdouées se développe naturellement depuis leurs années de jeunesse, où toutes les deux se croisent lors de leurs tournées respectives, jusqu’à la mort de Clara Schumann en 1896.
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Amitiés
Pauline Viardot est également l’amie de nombreux compositeurs célèbres de son temps, de Chopin à Saint-Saëns, en passant par Berlioz, Brahms, Chopin, ou Liszt. Mais celui dont elle est le plus proche est Charles Gounod, qu’elle rencontre en 1849 alors qu’elle triomphe dans le Prophète de Meyerbeer. Bien qu’âgé de trois ans de plus, Gounod n’était qu’au tout début de sa carrière de compositeur. Pauline Viardot reconnaît son génie, et propulse sa carrière.
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C’est grâce à elle qu’il signe un premier contrat pour Sapho, “notre Sapho” comme l’écrit Gounod à sa complice. Il prend tellement de place dans la vie de la musicienne qu’on peut se demander s’il n’y avait pas plus que de l’amitié entre eux. En 1852, le mariage de Gounod avec Anna Zimmermann jeterun froid sur leur relation. Et ce n’est que près de vingt après, en exil à Londres pendant la guerre franco-prussienne, que Viardot et Gounod se réconcilient et reprennent leur correspondance, certes plus mesurée et moins enflammée.
Ménage à trois
C’est sur les conseils de George Sand que Pauline Viardot épouse Louis Viardot, de vingt ans son aîné. Alors directeur du Théâtre Italien, c’est un homme élégant, cultivé et affable qui aime la peinture, la chasse et l’Espagne. C’est un mariage de raison qui n’empêche pas le couple de vivre heureux et qui donne naissance à quatre enfants, dont la future compositrice Louise.
Deux-cents ans après sa naissance, Pauline Viardot laisse encore bien des mystères de son extraordinaire destin de musicienne.
Si Louis Viardot est le meilleur ami de Pauline, le grand amour de sa vie s’avère être l’écrivain russe Ivan Tourgueniev. De leur première rencontre en 1843 à Saint-Pétersbourg jusqu’à sa mort en 1883, Tourgueniev voue une adoration sans pareil à Pauline Viardot, mais elle, d’une nature plus discrète, laisse planer une certaine ambiguïté sur la nature de leur relation.
Fait troublant : en juillet 1860, quand son fils Louis tombe gravement malade, Pauline appelle Ivan et non pas le père de l’enfant. A partir de cette date, l’écrivain russe et la famille Viardot vivent un ménage à trois particulier, d’abord à Baden-Baden, puis à Londres et enfin Paris. Quand Tourgueniev disparaît, quelques mois après le décès de Louis Viardot, Pauline écrit à Clara Schumann : “Désormais, je n’aurai plus aucune joie, sauf celles que me donnent mes enfants et de vieux amis… Que la vie me paraît vide !”
Une compositrice versatile
Pauline Viardot met son génie d’interprète au service de l’opéra et de la mélodie, mais c’est en tant que mélodiste qu’elle laisse un héritage riche et divers. A ce jour, on compte environ 250 œuvres à son répertoire. Elle compose aussi bien de la musique de chambre, des œuvres pour piano, des opérettes de salon, de nombreuses mélodies, des transcriptions et des pièces pédagogiques.
Et encore, il se peut très bien que dans les décennies qui viennent les musicologues en découvrent de nouvelles. Sa production de mélodies est d’autant plus impressionnante qu’elle ne se contente pas de composer des mélodies sur des textes en français, mais aussi en allemand, en espagnol, en italien et en russe. Comme l’a souligné Patrick Barbier, qui a écrit une fort belle biographie de Viardot, la composition fut « la face cachée de l’iceberg », une part de sa vie qu’elle tenait à garder secrète, et qu’elle « rechignait à exhiber ». Deux-cents ans après sa naissance, Pauline Viardot laisse encore bien des mystères de son extraordinaire destin de musicienne.