COMPTE-RENDU – Deux ballets, signés George Balanchine, font leur entrée au répertoire de l’Opéra de Paris : Ballet Impérial, au classicisme revendiqué, et Who Cares ?, plus libre de forme et aux accents musicaux issus de l’Amérique de George Gershwin.
L’héritage russe

George Balanchine, danseur formé à Saint-Pétersbourg puis chorégraphe à la carrière internationale, a souhaité rendre, avec Ballet Impérial, un hommage à son père spirituel, Marius Petipa. Ce dernier va régner de nombreuses années sur le ballet du Théâtre Mariinski, qu’il porte au sommet avec plus de 60 créations à son actif. Maître du classicisme le plus virtuose, Marius Petita va exercer une longue et profonde influence sur les chorégraphes qui le suivent.
Avec Ballet Impérial, créé en 1941, George Balanchine se remémore sa belle jeunesse pétersbourgeoise et ses joies de la découverte du travail de Petipa. Il élabore son ballet sur une musique de son autre maître bien aimé, Piotr Illytch Tchaïkovski, en choisissant le concerto pour piano n°2 en Sol Majeur. Les trois mouvements successifs de ce concerto animé, où le piano domine la partie, notamment dans le grand pas de deux du début, permet à Balanchine de développer une chorégraphie qui décline toutes les ressources du grand ballet classique académique. La présence centrale de la ballerine souligne la fascination du chorégraphe pour la femme, sorte de reine inaccessible et éthérée.


Dans un décor réduit au minimum et dépouillé, avec une simple toile de couleur bleu en fond de scène, le corps de ballet, sous forme de quadrilles, duos ou trios, évolue avec allant et dynamisme, détaillant une technique aguerrie mais jamais offerte au public de façon gratuite. Pour autant, certaines imprécisions dans les déplacements d’ensemble sont à noter. George Balanchine aimait dire de ses ballets : « Seul dieu créé. Moi, j’assemble ». Avec Palais Impérial, il met en œuvre ce principe avec une rigueur certaine et une connaissance approfondie du legs de Marius Petita. Ludmila Pagliero et Paul Marque, tous deux Étoiles de l’Opéra National de Paris, forment le couple central. Ludmila Pagliero excellente technicienne, paraît toutefois un peu sur la réserve durant toute la première partie du ballet, moins brillante qu’habituellement. Elle se laisse aller à plus de liberté ensuite, au contact de son partenaire Paul Marque, qui rayonne de vitalité et de présence.
Le chef d’origine russe Mikhail Agrest, lui aussi formé à Saint-Pétersbourg, conduit l’Orchestre de l’Opéra avec l’esprit requis et une familiarité certaine avec la musique du compositeur. A ses côtés, depuis la fosse d’orchestre, Emmanuel Strosser aborde la difficile partie de piano avec une énergie et une dimension poétique affirmée, qu’il dispense à l’ensemble des danseurs.
Au pied des gratte-ciels de New York

Créé par le New York City Ballet en 1970, que dirigeait alors George Balanchine, le ballet Who cares ? se décline en 16 entrées représentant autant de chansons de George Gershwin, dans une adaptation et une orchestration pleines de tonus de Hershy Kay. Si la structure du ballet peut apparaitre de fait ainsi morcelée, George Balanchine parvient à conserver une trame d’ensemble que sa chorégraphie, toujours issue de la forme classique, relie. Ce ballet se veut en premier lieu festif, non démonstratif, tout en alternant des soli féminins et masculins virtuoses au milieu des ensembles jazzi ou évoquant les comédies musicales de Broadway. Il s’agit ici de se divertir sans à priori et non de réfléchir, de goûter à l’instant présent et de se laisser aller devant une vélocité qui préside à chaque moment. Les ensembles sont toniques, pétillants et offrent une esthétique d’ensemble qui ravit l’œil et l’oreille.

Jérémy-Loup Quer premier danseur, outre un superbe solo dans l’avant dernière pièce Liza, se voit confier les trois duos du ballet. Dans The man I Love, il partage la scène avec l’étoile Dorothée Gilbert, d’une aisance et d’une grâce souveraines. Roxane Stojanov pour sa part, au sein de Embraceable You, livre une prestation impeccable, plus terrienne dans ses appuis et ses gestes. La légèreté et la jeunesse toute de délicatesse de Bianca Scudamore séduit au sein de la dernière pièce, Who Cares ?, qui donne son nom générique au ballet. Un brillant et ardent final réunissant tous les interprètes vient conclure ce ballet ardemment applaudi par le public. L’Orchestre de l’Opéra semble se délecter de la musique de George Gershwin qui l’amène sur des chemins peu usités.
Le Maître George Balanchine
Ces deux ballets attractifs viennent heureusement compléter le répertoire déjà riche de la trentaine d’œuvres de George Balanchine que le Ballet de l’Opéra National de Paris tient en réserve. 18 représentations sont programmées au Palais Garnier jusqu’au 10 mars.