SPECTACLE – L’Opéra Comique présente au public sa version du Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully, que le Covid avait sacrifié en 2020 : au lieu d’initier une large tournée, la maison parisienne la conclut dans la bonne humeur.
Deschamps à perte de vue
Du haut de ses 75 ans, Jérôme Deschamps est partout, dans son ancien jardin (il a quitté la direction de l’Opéra Comique en 2015) : il signe la mise en scène et joue le rôle-titre qui ne lui laisse que peu de répit. Dans une grande salle sobre sont percés une multitude de portes battantes, une scène où sont joués les divertissements présentés au maître des lieux ainsi qu’une porte et un balcon escamotables. Bien qu’il n’en soit plus à son baptême en Jourdain puisqu’une large tournée a déjà eu lieu, certains passages (la prononciation des lettres ou la complainte de Cléonte à Covielle, par exemple) restent sérieusement longuets, la mise en scène ne parvenant alors pas à habiller les longs dialogues, malgré l’habituelle mais savoureuse fantaisie des costumes imaginés par Vanessa Sannino.
La scène du dîner, irrésistible, exprime au mieux l’art Deschiens (du nom de la troupe qu’il a créée en 1993); auquel il vaut mieux être sensible pour apprécier le spectacle. Les anachronismes, mais surtout ces « Ha ! » et ces « Oh ! » qui accompagnent en permanence un jeu muet burlesque et absurde mais drôle, en sont les marques de fabrique. Le public, très enthousiaste au baisser de rideau, semble apprécier.
Chanteurs et comédiens (ou vice versa) mènent la danse
En bon sélectionneur, Deschamps, s’entoure d’une troupe cohérente. Ainsi, Jérôme Varnier s’amuse en Grand Mufti, poussant sa voix caverneuse. Sandrine Buendia (voix chaude, bien émise, avec un beau legato) déploie un tel abattage théâtral que l’on finit par se demander pourquoi prendre des comédiens qui ne chantent pas lorsqu’on peut avoir des chanteurs qui jouent la comédie ! Nile Senatore ouvre la pièce de son haute-contre d’une belle clarté mais pas toujours stable. Enfin, Lisandro Nesis dispose d’une voix légère au timbre brillant.
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Afin de ne pas s’en laisser compter, les comédiens donnent aussi de la voix, participant au chœur final. Parmi la troupe d’une dizaine d’acteurs, citons Vincent Debost (Covielle, Maître d’armes) pour sa joyeuse activité, Aurélien Gabrielli (Cléonte) pour sa voix fluette de haute-contre parlée, Josiane Stoleru (Madame Jourdain, qui s’entend comme Deschiens et chat avec son mari) pour sa voix rocailleuse, seul personnage renfrogné, qui semble comme en retrait du burlesque général, ou encore Pauline Tricot (Nicole) pour sa grande voix bravache et le comique de répétition de sa chasse aux surmulots.
Deux danseurs et deux danseuses, dont les pas sont réglés par Natalie Van Parys, se trémoussent sur des chorégraphies de facture classique, déjantées mais gracieuses. Ils s’intègrent d’ailleurs au mélange des genres général en jouant également la comédie.
Théo-team du Louvre
Le public connaissait Théotime Langlois de Swarte violoniste, il le découvre ici chef d’orchestre, à la tête des Musiciens du Louvre. Initialement programmé pour deux représentations, il aura finalement remplacé Marc Minkowski sur l’intégralité des dates parisienne (et des deux dates vichyssoises fin février). Mais contrairement à ce qu’aurait sans doute fait le maestro, il dirige la phalange depuis son violon, par lequel il insuffle sa musicalité aux musiciens qui l’entourent. Ses coups de tête marquent les départs, les temps et les accents, tandis qu’il dicte les nuances par sa propre interprétation. Il mène en revanche le continuo à mains nues, les muscles tendus comme si sa vie dépendait de chaque note, d’une gestique déjà assurée. En voilà un que nous reverrons diriger… On parie ?