DANSE – Au Théâtre de Suresnes, les Italiens de l’Opéra offrent un gala enjoué, de très grande qualité (tant technique qu’artistique) dans un programme bien construit. La salle est ravie, tant les familles éblouies que les balletomanes exigeants. Le samedi 15 et dimanche 16 avril, le Théâtre Jean Vilar, connu pour son festival Suresnes Cités Danse, ouvre ses portes à un programme chorégraphique classique et néoclassique.
Les Italiens de l’Opéra de Paris: késako ?
Alessio Carbone, ancien Premier danseur à l’Opéra National de Paris, fonde le groupe en 2016 quand il est invité à danser à Venise, sa ville natale. Il propose à ses collègues et amis aux origines italiennes de le rejoindre pour élaborer le programme de cette soirée. Depuis, la troupe se recompose au fil des galas, et au gré des arrivées dans la compagnie… Valentine Colasante, par exemple, y a dansé plusieurs fois avant d’être nommée étoile.
Pourquoi Suresnes ?
Si les italiens reviennent à Suresnes c’est qu’ils sont attachés à ce théâtre. En effet, en octobre 2017, la troupe danse pour la première fois en France dans ces murs. Il était donc tout naturel de les retrouver six ans après, dans un nouveau programme interprété par de nouveaux danseurs.
La hiérarchie du ballet : kifékoi ?
En entrant dans la compagnie, le danseur est quadrille. Il peut ensuite décider de passer un concours annuel pour tenter de monter les échelons les un après les autres (coryphée puis sujet, et enfin premier danseur). Le grade ultime, étoile, est le seul qui s’obtient par une nomination du directeur de l’opéra sur proposition du directeur de la danse. Il y a aujourd’hui 17 étoiles sur les 154 danseurs de la compagnie.
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Le menu du jour
Le gala s’ouvre sur Le Corsaire, chorégraphie de Marius Petipa interprétée par Bianca Scudamore, sujet, mais rayonnante déjà dans des rôles d’étoile (on pense notamment à sa Gamzatti aux côtés de Dorothée Gilbert et François Alu dans la Bayadère il y a tout juste un an). Elle est accompagnée par Giorgio Fourès, quadrille. Le partenariat fonctionne très bien, la technique est parfaitement maîtrisée et les deux amoureux, tant sur scène qu’en ville, arrivent même à insuffler l’esprit du ballet en trois variations. L’aisance de la danseuse est subjuguante, sa première diagonale est toute en suspension, la série de retirés est accompagnée par un port de bras et de tête majestueux, elle apparaît telle une toupie dans les tours à la seconde et les 24 fouettés se terminent sous une avalanche d’ applaudissements.
Bianca Scudamore : a star is born
Elle nous émerveille un peu plus tard encore, dans Highlights, un solo chorégraphié par Erico Montés (maître de ballet au Capitole) sur le célèbre Clair de Lune de Debussy. Le temps s’arrête un instant pour laisser place à la danseuse qui donne à voir la musique tout en grâce et légèreté.
La magie continue avec un extrait de l’acte III de la Belle au bois dormant (Petipa toujours, sur une musique de Tchaikovsky). Ici, c’est la première danseuse Bleuenn Battistoni, remarquée notamment dans sa prise de rôle de Gisèle en remplaçant au pied levé Alice Renavand le soir de ses adieux, qui est accompagnée de Nicola Di Vico, coryphée. Si l’on sent la danseuse un peu tendue, manquant d’équilibre, le duo reste concentré et offre à la salle un beau moment, même si les balletomanes en ont eu la mâchoire crispée.
Sous le signe du lac
Mais que serait un gala sans Lac des cygnes ? Ici c’est l’acte IV de Noureev que l’on retrouve avec Silvia Saint-Martin, première danseuse, et Antonio Conforti, sujet. Le rideau se ferme un instant pour se rouvrir sur un épais voile de fumée, on entend des “waouh” du public et la danseuse apparaît dans des menées aériennes. Le duo fonctionne bien, on joue ici sur “l’esprit lac”, avec de très beaux ports de bras, plus que sur la technique. La virtuosité est laissée de côté pour envoûter le public.
Dans un autre style, où la pantomime est présente, Le Carnaval de Venise de Louis Milon, permet de découvrir Clara Mousseigne, jeune sujet, venant tout juste de recevoir le prix du Cercle Carpeaux et Nicola Di Vico qui livrent tous deux un jeu amusant. La chorégraphie de 1816 n’a pas pris une ride et permet aux interprètes de montrer leur technique et leur personnalité.
Tutus, mais pas que !
On sourit déjà en entendant les premières notes de Jacques Brel. C’est évidemment les Bourgeois de Ben Van Cauwenbergh interprété par Giorgio Fourès qui s’annonce. Le danseur y montre toutes ses qualités de jeu et son beau ballon, mais l’on ne peut s’empêcher de penser à François Alu, star du rôle.
On retrouve aussi les Indomptés, chorégraphié en 1992 par Claude Brumachon sur une musique de Wim Mertens. L’œuvre est entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 2021 lors de la soirée Jeune danseurs où on retrouvait déjà Alexandre Boccara et Andrea Sarri. Les deux danseurs en jeans, sont en parfaite harmonie et jouent en permanence entre l’intensité du mouvement et la sensibilité de l’interprétation.
Enfin, on est ravi de (re)découvrir Arepo de Maurice Béjart, sur une musique de Hugues le Bars, ici dansé par Alexandre Boccara dans la traditionnelle combinaison rouge mono bretelle. Cette variation lui a offert le passage au grade supérieur, coryphée, classé deuxième au concours de promotion 2022. On l’y sent plus à l’aise que lors de cette épreuve, nous offrant ainsi trois minutes mémorables. La technique est là mais ne devient qu’un détail au service de son aura et de sa musicalité. Il séduit la salle avec son regard et ses gestes précis.
Lors de ce programme, on découvre également le talent du chorégraphe Simone Valastro, ancien sujet de l’opéra de Paris, dans Arbakkinn, (sur la chanson éponyme de Ólafur Arnalds), pas de deux pour Silvia Saint Martin et Antonio Conforti. La chorégraphie est poétique et laisse place à la rêverie. Puis dans la dernière pièce, Appointed Rounds, réunissant 5 danseurs en justaucorps chairs et chaussettes blanches (un détail oui, mais regrettable car il coupe la ligne des danseurs). Dans celle-ci, les duos et petits groupes s’enchaînent sans jamais s’arrêter, liés entre eux par des courses. La pièce est hypnotisante par la facilité des danseurs, et derrière cette simplicité apparente se cache un chorégraphe que l’on espère revoir bientôt dans des pièces plus longues. Le fond sonore, O Superman de Laurie Anderson, nous procure déjà un sentiment de nostalgie de voir se terminer un si beau programme.
Mais ce n’est pas fini ! Sous les applaudissements se lance la musique du final d’Études de Czerny, star des fins de gala, permettant aux danseurs de se livrer à une battle de technique classique, avec entre autres des fouettés, des manèges de saut et des diagonales permettant à tous de briller !
Et pour conclure ?
Le programme d’Alessio Carbone, très bien conçu, dévoile toute la palette de talent des danseurs. Savant dosage entre des hits des galas (Corsaire, Lac des cygnes), des pièces moins connues (Arepo, les Indomptés) ou même des créations réussies qui donnent une vision plus actuelle du ballet. C’est l’occasion pour les danseurs de travailler puis de présenter des extraits du répertoire qui ne leur sont pas forcément confiés à l’Opéra.
Alessio Carbone parvient encore une fois à ne pas tomber dans le piège typique des galas à savoir une unique démonstration de virtuosité. Le public est conquis, tant les familles et les graines de danseurs que les balletomanes assidus venus voir les étoiles de demain.