CONCERT – Dans le décor mystérieux des fresques à demi-disparues de l’abbatiale de Ronceray, l’écrivain Pascal Quignard et la pianiste Aline Piboule partagent un émouvant récit-récital autour des ruines, à l’occasion du premier festival Angers Pianopolis.
À l’occasion de la première édition du festival Angers Pianopolis créé par Nicolas Dufetel, musicologue et adjoint à la culture d’Angers, l’abbatiale de l’Abbaye de Ronceray accueille le duo complice formé par l’écrivain Pascal Quignard et la pianiste Aline Piboule. Après un premier récit-récital autour du personnage mythique de Boutès, ils réitèrent avec un programme autour des ruines, inspirés par la Fantaisie opus 17 de Schumann, justement intitulée « Ruines ».
Cités perdues
Le public est d’abord immédiatement porté par les textes de Pascal Quignard, qu’il récite lui-même de sa voix au grain profond et au rythme posé, presque berçant. Sensible au silence, susurrant presque au tout début – d’où la demande expresse de plusieurs spectateurs de changer de microphone pour mieux entendre –, l’auteur se fait le narrateur de récits de ruines, du Havre à la citadelle de Bam en Iran, en passant furtivement par Marioupol, l’Université de Vincennes ou la « ruine heureuse » qu’est l’automne.
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La colère en couleurs
En réponse à la voix, la pianiste Aline Piboule se fait peintre : avec un raffinement particulièrement sensible, les œuvres comme Darkness visible de Thomas Adès ou la Sonate de guerre de Olivier Greif deviennent des paysages sombres et sinistrés, mélancoliques, jusqu’à partager une colère triste. Par une précision du jeu, une conscience soignée des nuances, la conduite caressante des phrasés et des accents néanmoins marqués (et marquants), la musicienne parvient à faire ressortir les émouvantes couleurs de ces pièces. La résonnance pourrait peut-être être légèrement moins présente, afin de profiter pleinement de la clarté de l’instrument, mais elle a le mérite d’englober l’auditeur dans un son et une atmosphère, aussi sombre que – étrangement – réconfortante.
L’amour vaincra !
Sous les voûtes de l’abbatiale, qui laissent deviner des vestiges de fresques sans doute très colorées, témoins d’un passé éblouissant, les beaux textes de Pascal Quignard, dans lesquels résonnent les œuvres interprétées avec tant de finesse par Aline Piboule, prennent une dimension particulièrement profonde et évocatrice. L’obscurité de ces récits aux teintes nostalgiques se laisse percer par les lumineuses déclarations d’amour, particulièrement dans la très touchante Fantaisie op. 17 de Robert Schumann qu’il dédie à sa femme Clara. L’amour triomphant des ruines : une image d’espérance qui touche les auditeurs qui se montrent particulièrement reconnaissant lors des applaudissements.