CONCERT – Habituée du festival et précédée d’une réputation qui n’est plus à faire, la pianiste star Khatia Buniatishvili régale le public du Gstaad Menuhin Festival d’un récital dont elle seule a le secret. Un concert de gala qui laisse sans voix mais pas sans mots. Car ceux-ci ne manquent pas pour décrire une performance de haut vol.
Magnétisme : Attrait puissant et mystérieux exercé par quelqu’un ou quelque chose
Et si ce n’était pas d’abord cela, un concert de Khatia Buniatishvili ? Un instant magnétique, comme une parenthèse hors du temps insufflée par une artiste au charisme fou, qui embarque son public dans un univers parallèle, quasi onirique, ses mains à peine posées sur le clavier. Comme ici pour sublimer d’un jeu subtil et tout en sobriété la première Gymnopédie de Satie ou ce Prélude op.28 de Frédéric Chopin, offrant un moment de grâce, un instant suspendu d’une sonorité de velours dont on voudrait pouvoir se perdre au loin dans l’écho. Oui, assurément, il y a là-dedans un indéniable pouvoir d’attraction. Magnétique au possible.
Fascination : Vive influence, irrésistible séduction
Assurément, elle est aussi fascinante, cette artiste inclassable qui ne peut laisser indifférent. Fascinante par cette manière d’aborder des sommets de difficulté technique comme s’il s’agissait d’une simple formalité, tel un alpiniste qui viendrait gravir l’Everest sur un coup de tête pour combler un petit temps libre. Ainsi de ce Scherzo n°3 ou de cette Polonaise Héroïque de Chopin, un esthète du clavier qui aurait assurément adoubé une telle interprète. Une pianiste dont le jeu, si limpide et si propre, aux nuances savamment dosées et au rythme follement entraînant, a effectivement de quoi éblouir.
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Elégance : Qualité de quelqu’un qui se distingue par son goût, son choix en matière de vêtements, par sa grâce dans ses manières
C’est aussi cela, un concert de Khatia Buniatishvili : l’élégance à son sommet. Celle de l’artiste d’abord, jeune maman plus solaire que jamais dans sa robe ajustée au millimètre, d’un rouge écarlate aux reflets scintillants. Élégance aussi dans un jeu qui jamais ne cherche l’emphase excessive, le mouvement inutile, en tout cas dans ces œuvres où tout appelle le recueillement, tel cette transcription pour piano d’un air issu d’une fameuse Suite de Bach (la troisième), ou encore cet Impromptu op.90 de Schubert servi par un jeu d’une constante homogénéité, avec d’idéales variations de tempos et de nuances. L’apanage d’une virtuose qui a l’élégance, jusqu’au bout des ongles, de pleinement respecter l’âme d’une partition.
Éclectisme : Manière de s’intéresser à tous les domaines, à tous les sujets
Il y en assurément, dans le chouette programme ici décliné par une instrumentiste ouverte à tous les styles. Il y a des grands classiques bien sûr, Chopin et Schubert donc, mais aussi Franz Liszt et sa Consolation n°3 plus vibrante et mélancolique que jamais. Plus inattendu (et plus ancien), François Couperin est aussi convoqué, avec un extrait de ses « Barricades mystérieuses » réglées au rythme d’un coucou suisse. Mais il y a aussi ces oeuvres de maîtres revisités par d’autres maîtres, tel cette sérénade « Ständchen » de Franz Schubert adaptée par Liszt (décidément aussi somptueuse au piano qu’au violoncelle), ou encore ce Prélude et Fugue BWV 543 de Bach transcrit de l’orgue au piano par Liszt, encore lui. Autant de pages où l’on voyage (en première classe) à travers les époques et les sentiments : nostalgie, solennité, tendresse, passion. Et quitte à se laisser bercer par tant de polyvalence, autant ne pas choisir et céder à l’ivresse de chacun de ces transports.
Energie : Vigueur particulière dans la manière de s’exprimer
Il y a donc une sensibilité de tous les instants dans le jeu de la conteuse Khatia Buniatishvili. Il y a aussi une folle énergie, déployée au besoin à renforts de gestes soudainement plus amples, de bonds sur le tabouret et de mains passées dans les cheveux pour évacuer une mèche rebelle. Ce qui se remarque notamment dans cette tempétueuse Rhapsodie Hongroise de Liszt revisitée par le maître Vladimir Horovitz…et par la pianiste elle-même, venue rajouter encore plus de folie et d’acrobaties à une œuvre déjà si périlleuse. Mais l’exécution est confondante de maîtrise et d’énergie, donc, une énergie électrique qui s’applique aussi au premier bis venus conclure ce « show » : le mouvement Precipitato de la Sonate n°7 de Prokofiev. Il en faut alors de l’énergie pour faire courir les doigts d’un bout à l’autre du piano, les faire glisser sur le clavier, et même se chevaucher. Tous, bien sûr, finissent par retomber sur leurs pattes.
Enchanteur : Se dit de quelqu’un doué d’un charme irrésistible
Au fond, il semble donc que ce soit cela, un concert de Khatia Buniatishvili : une manière d’enchantement qui trouve une parfaite conclusion, ici, avec une version pour piano de la fameuse Javanaise de Gainsbourg. Un instant un peu plus jazzy appelant la longue ovation d’un public qui, ne lui plaise, aime sa Khatia bien davantage que « le temps d’une chanson ».