CONCERT – Les 7 et 8 octobre dernier, l’orchestre Consuelo a donné le même programme à l’espace Pommery à Clermont-de-l’Oise, puis au théâtre des Champs-Elysées à Paris. Entre une salle des fêtes dépourvue de scène et de grâce et l’œuvre des frères Perret, riche de ses ors, ses fresques et son passé mythique, peut-on imaginer plus grand écart ? Le miracle qu’accomplissent les œuvres et les interprètes inspirés, c’est de l’effacer.
Mille ans à Clermont
Clermont de l’Oise fête en 2023 sa millième année d’existence. Pour les Rencontres musicales de Clermont, c’est seulement la neuvième, mais ce n’est pas rien : faire vivre un festival de musique classique à la programmation exigeante dans une ville de 10 000 habitants, sans les moyens d’une institution permanente, suppose de la passion et de la détermination. Cécile Grange, présidente de l’association organisatrice, incarne tout ça à la fois. Son discours introductif mentionnait les multiples contributions bénévoles, mécénats et appuis qui font vivre le festival, grâce auxquels il produit du lien social, en plus de la musique.
Conçus par la directrice artistique Claire de Varine, les six concerts de cette édition ont notamment accueilli le flûtiste Pierre Hamon, la pianofortiste Yoko Kaneko, les violonistes Pierre Fouchenneret et David Petrlik, le pianiste Théo Fouchenneret, le quintette à vents Le Concert Impromptu, la soprano Lucile Richardot et le claveciniste Jean-Luc Ho. S’y sont ajoutés plusieurs concerts en milieu scolaire ou hospitalier. Celui du 7 octobre était à la fois le zénith et le point d’orgue, et il affichait complet.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’orchestre !
L’église Saint-Samson, lieu habituel du festival, ne pouvant loger 38 musiciens, il se tenait dans cette salle qui a rendu la soirée singulière, avec son architecture fonctionnelle, sa porte d’accès unique et un simple tapis bleu pour délimiter la place de l’orchestre. Douloureuse pour les spectateurs du fond, l’absence de scène donnait à ceux des premiers rangs l’impression d’avoir les musiciens à portée de main. L’acoustique peu réverbérante accentuait cette sensation de corps à corps : tout le son venait de leurs gestes. Le public étant disposé autour de l’orchestre, on pouvait se croire dans un salon.
Pour achever la transfiguration du lieu : la musique. Créé par le violoncelliste Victor Julien-Laferrière, 33 ans, vainqueur en 2017 du concours Reine-Elisabeth, l’orchestre Consuelo réunit des musiciens brillants. En les regardant jouer, on sent que les émotions fortes d’une aventure artistique avec un artiste d’exception comptent pour beaucoup dans leur présence.
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Du salon à la chambre…
Dans le Concerto pour violoncelle de Schumann, le chef était aussi soliste. Tournant le dos à l’orchestre, totalement investi, les yeux fermés, il restait pourtant relié à chaque pupitre. Il en a résulté une conception intime de la musique, résolument chambriste. Comme par magie, elle a effacé les faiblesses d’une œuvre qui souvent vous laisse sur votre faim, mais était ici toute plénitude.
Consacrée à Beethoven, la deuxième partie comprenait l’ouverture Coriolan, enlevée avec maestria, puis la Symphonie n°4. Résurgence de l’esprit de Haydn après les audaces de la Troisième et avant les fureurs de la Cinquième, c’est une mal-aimée. Elle regorge pourtant de délices auxquels la virtuosité, la cohésion, la clarté et la justesse de l’orchestre ont rendu justice. Mais il y a eu plus : la manière de les engendrer. Habité par la musique, Victor Julien-Laferrière en fait partager l’évidence avec peu de gestes ; sa sincérité communicative diffuse l’harmonie, des sourires illuminent les visages des musiciens et au moment des saluts, ils s’embrassent. La ferveur du public a fait écho à la fraternité de la scène.
C’était le moment de se remémorer la salle beaucoup plus petite du palais viennois du prince Lobkowitz, où cette symphonie fut exécutée pour la première fois : les conditions de jeu et d’écoute devaient être analogues. Je ne sais si la joie y fut aussi grande, mais à Clermont, bien que loin de l’avenue Montaigne, on se serait crus aux champs Élysées…