COMPTE-RENDU – La 8e de Schubert et la 9e de Bruckner : deux symphonies inachevées représentant la quintessence de la musique symphonique autrichienne, admirablement servies par l’Orchestre de Paris et son chef d’un soir, Philippe Jordan.
Il y a peu, nous vous parlions de la venue de Philippe Jordan à Paris, dans un programme Debussy, Chausson, Mendelssohn et Britten qui sentait bon les embruns et le grand large, avec l’Orchestre National de France : https://www.classykeo.com/2023/10/21/le-chef-philippe-jordan-a-deploye-grand-sa-voilure-a-radio-france/. Nous disions qu’il déployait grand sa voilure, alors qu’il vogue à présent en solitaire, ayant décidé de mettre fin au contrat qui le liait avec l’Opéra national (Staatsoper) de Vienne.
Il a hissé la grand-voile
Après vingt-cinq ans à la tête de deux orchestres de maisons d’opéra majeures (Paris de 2009 à 2021 et Vienne de 2020 à maintenant), il décide donc de se lancer dans la carrière free-lance, en étant invité à diriger différents orchestre de par le monde, et pas des moindres : Wiener Philharmoniker, Staatskapelle Berlin, Chicago Symphony, Orchestra Filarmonica della Scala… Finalement, un parcours à rebours complet des pratiques habituelles, qui voient les chefs être invités avant d’espérer devenir directeur musical d’un orchestre.
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Philippe Jordan n’a décidément plus rien à prouver, et sa dernière prestation à la tête de l’Orchestre de Paris… l’a prouvé ! Il a tout simplement hissé la grand-voile au sommet de la Philharmonie de Paris, transformant cette dernière en une nef-cathédrale réceptacle et promoteur d’une quintessence symphonique de toute beauté.
Un envol intersidéral !
Il va sans dire qu’il a été aidé en cela par les musiciens de l’Orchestre de Paris, magnifiques de cohésion, de maîtrise technique et de générosité de l’ensemble. Mais à lui le talent de générer cette excellence et de l’amener à un tel niveau de déploiement. Sa direction est pourtant, somme toute, assez conventionnelle : une main droite, armée d’une baguette, pour une battue précise de la mesure et une main gauche, nue, pour un dessin du phrasé et des intentions de dynamique. Mais quelle main gauche ! Tonique, comme semblant animée d’une vie propre et guidée par un bras intelligent, il n’y avait qu’à la suivre pour « voir » défiler la musique. Ajoutez à cela une coordination parfaite de l’ensemble du corps (pieds bien campés, jambes souples et dansantes, corps bien en face de l’orchestre, buste ouvert, regard présent pour une attention à chaque musicien) et un travail fin d’équilibre sonore entre les différents pupitres de l’orchestre. Vous obtiendrez alors une liesse orchestrale de toute beauté, transformant la nef-cathédrale de tout à l’heure en une soucoupe volante, prête à s’envoler dans l’espace intersidéral !
Un répertoire propice à cet envol
Sans compter un répertoire propice à cet envol : vingt-cinq minutes de la Symphonie inachevée de Franz Schubert, pur joyau symphonique dont on a l’impression de connaître tous les thèmes, puis soixante-cinq minutes de la 9e symphonie d’Anton Bruckner, ouvrage ample, voir extra-large mais sans surdose, qui vient chasser, d’un large revers, toutes les mesquineries et lourdeurs du moment. Pour les deux partitions, une nomenclature orchestrale comparable : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tuba, timbales et cordes, évidemment en nombre plus important chez Bruckner (soixante-douze ans séparent les deux oeuvres). Mais dans les deux cas, une orchestration classique, avec, par exemple, les timbales comme seules percussions. Une pensée classique, donc, avec un langage romantique chez Schubert et post-romantique chez Bruckner, pour magnifier le genre symphonique et la délectation sonore qu’il procure.
Merci Maestro Jordan d’avoir permis cela.
Merci pour cette belle critique! J’ ai assisté à ce concert d’ une grande petfection et émotion!