COMPTE-RENDU – Le 14 octobre dernier, le chef d’orchestre suisse Philippe Jordan, rejoint, pour le Poème de l’amour et de la mer, d’Ernest Chausson, par la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac, dirigeait l’Orchestre National de France dans un programme qui sentait bon les embruns et le grand large. Un concert de qualité, mené par un chef qui déploie à présent grand sa voilure.
Philippe Jordan apparaît, à presque 50 ans, comme un des chefs d’orchestre majeurs actuels. Durant 12 ans, de 2009 à 2021, il a été le directeur musical de l’Opéra national de Paris ; un mandat plutôt long quand on sait les enjeux politiques et économiques liés à l’établissement. Avec son caractère calme et réfléchi, doublé d’une efficacité de l’action, il a su marquer de son empreinte la vie musicale de l’institution culturelle française la plus importante pour le rayonnement international du pays.
Quand Jordan dit vouloir se recentrer sur la musique
Directeur musical du Wiener Staatoper, l’Opéra national de Vienne (Autriche), depuis la saison 2020-2021, il vient d’annoncer qu’il ne renouvellerait pas son mandat, à la fin de la saison 2024-2025, invoquant le souhait de se recentrer sur le grand répertoire symphonique, après avoir servi l’opéra pendant 25 ans. Il a même été plus loin, déclarant notamment : « Ces deux dernières années m’ont confirmé que notre théâtre, en ce qui concerne la mise en scène, s’est engagé dans une voie funeste. Rarement dans ma carrière les mises en scène m’ont rendu heureux ». Pour lui, « les chefs d’orchestre passent des mois, voire des années, pour certaines œuvres, à travailler la partition. Les meilleurs chanteurs se préparent pendant des années à un nouveau grand rôle. Mais chez beaucoup, pour ne pas dire la plupart des metteurs en scène actuels, je regrette un réel manque de préparation. Prendre un thème, inventer quelque chose autour ou l’actualiser de manière primitive, tout cela n’est pas de l’art au sens propre du terme ».
Voilà qui a le mérite d’être clair, à un moment où la sphère opératique se questionne sur sa plus ou moins bonne adéquation avec les changements sociétaux.
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Un programme en hommage au grand répertoire symphonique
Dans cette logique d’intention, c’est un programme rendant hommage au grand répertoire symphonique qu’il est venu diriger à l’Auditorium de Radio France, avec l’Orchestre national de France et la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac : 2 parties, réparties en oeuvre courte / oeuvre longue : le grand et généreux Poème de l’amour et de la mer, d’Ernest Chausson, introduit par le Prélude à l’Après-midi d’un faune, de Claude Debussy, puis Quatre interludes marins, extraits de l’opéra Peter Grimes, de Benjamin Britten, précédés du poème symphonique Mer calme et heureux voyage, de Felix Mendelssohn.
Si la deuxième partie a un peu souffert d’un manque de souffle et d’inspiration (peut-être était-ce dû au choix des œuvres ?), la première a, à elle seule, donnée la garantie d’un grand concert, tant l’exécution de ces deux pièces maîtresses du répertoire post-romantique français fut fabuleuse. Un mérite, d’ailleurs, qui en revient autant aux musiciens qu’au chef, qu’on a senti reliés par un grand respect mutuel et désireux de faire au mieux ce qu’il savent faire : jouer de la musique ensemble.
Au plus près de l’action
Ainsi, le Prélude à l’après-midi d’un faune a été un moment de pur bonheur, tant la partition a été servie au plus près des intentions du compositeur : distinction claire des timbres des instruments, au sein d’un collectif uni, à la fois souple, dans ce style improvisé si cher à Debussy, et précis dans l’homogénéité du son et dans la conduite commune du discours. Quant au Poème de l’amour et de la mer, grand poème symphonique où le lyrique est comme enchâssé, serti dans l’orchestral, les musiciens, le chef et la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac en ont donné une version « grand large », ample et généreuse, chargée également d’une bonne tension qui a permis un suivi presque cinématographique de l’histoire racontée par le texte de Maurice Bouchor, si bien mis en musique par Chausson.
Une deuxième partie tout en détente
L’ouverture de concert Mer calme et heureux voyage (‘Meeresstille und glückliche Fahrt’), de Mendelssohn fut proprement interprétée, avec un chef pleinement présent, souple et harmonieux dans sa conduite, n’ayant nul besoin d’être véhément dans sa gestique pour se faire comprendre des musiciens. Tout son corps a conduit le discours, avec un plié des genoux particulièrement efficace et généreux !
Et le concert s’est conclu avec les Quatre interludes marins, extraits de l’opéra Peter Grimes, de Benjamin Britten. Après les splendeurs orchestrales exposées par Debussy et Chausson, la musique s’est faite ici plus sombre et âpre pour relater, en arrière-fond, les tourments existentiels du marin embarqué Peter Grimes.
Après ce beau et généreux concert, il n’est pas interdit de se dire que c’est plutôt une bonne nouvelle que Philippe Jordan ait décidé de se consacrer au répertoire symphonique !