DANSE – Le Grand Théâtre de Provence accueillait Lovetrain2020, du chorégraphe israëlien Emanuel Gat. Un homme double, un chorégraphe du sonore et un musicien du geste, dont le parcours atypique se traduit par une relation singulière à la danse, en collectif, en improvisation et en ouverture.
Le souci, paradoxal, de donner une forme, structure stabilisée et écrite, à sa danse, semble venir, chez l’artiste, de ses compagnonnages, intimes, en compositeur, avec la musique classique : le voyage à la Schubert, le rituel à la Stravinski, la variation à la Bach, la géométrie à la Boulez. Dans cette pièce, imaginée et conçue dans le huis-clos du confinement, le cadre formel, poreux, plastique et permanent, est apporté par le beat pop-rock années 80 du duo anglais Tears for Fears, déclamé haut, solaire et sonore, entre les séquences noires de silence. L’absence de narratif – coutumière à la musique pure – est ainsi un exutoire, une clé, une liberté qui permet à la forme, écrite et composée, d’entrer en dialogue avec l’improvisation, ressentie et osée.
De la scène à la street
Le cadre scénique, noir-profond, est traversé par quatre meurtrières lumineuses, derrière lesquelles se devinent des silhouettes aux mouvements animés et colorés : promesse de joie, entremet pétillant, entre les temps – les actes au sens du théâtre – sérieux et graves du quotidien.
Une poignée de danseurs et danseuses déploie un contrepoint du groupe (masses mouvantes des corps réunis), de duos et de solos, courant selon le rythme rapide et régulier d’une grande fugue (la bien nommée). Les corps apprennent à s’apparier, en mouvements pendulaires, par lesquels le point d’équilibre des figures se déplace, sur le bitume de la street-scène. À la course, tempo de base, viennent se greffer différents mouvements, tous harmonieux et hypnotiques, empruntant à la géométrie ses droites, ses cercles, ses triangles. Tout un bouquet de gestes qui secrète l’espace, jusqu’à la transe. Le déploiement synchrone en est la figure centrale, infiniment recommencée, entre les deux bornes de la course et de l’arrêt. Quelque chose d’animal, fabuleux et originel, en émane.
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De l’entrain !
Les costumes du danseur Thomas Bradley sont intégrés à la chorégraphie, comme des prolongements entre le corps et l’espace, autant entraves-camisoles que doudous protecteurs, acclimatant les corps les uns aux autres, dans un carnaval de pigments, de froufrous et de soieries. Ils gomment l’athlétisme fonctionnel et martial des corps pour en révéler l’intériorité expressive, chaque interprète s’abreuvant à la source du groupe. Ces costumes semblent provenir de mondes lointains, passés ou étranges : saris indiens, drapés antiques, pagnes déstructurés, juste au corps seconde peau, écorché rouge vif, etc., alors que l’habillage sonore, comme une playlist, sonne mondial, global, générationnel. La danse, habillage corporel de la bande-son, donne un second souffle, énergique et puissant, aux anciens tubes. Inversement, le groove (is in the Heart) insistant des standards musicaux, planant ou scandé, porte le mouvement scénique, et lui insuffle, en même temps, sa dimension explosive.
La surexposition sonore appelle la libération des corps, immobilisés par d’anciens sortilèges, semblant s’échapper de statues de sel et faire voler en éclat leur ancienne peau cuirassée. Parfois, le silence, entre deux airs, permet de percevoir l’essoufflement des danseurs. L’affrontement est pacifique entre le spectacle mainstream et l’expérimentation singulière, aussi les publics s’y retrouvent et le manifestent par des saluts sonores, joyeux et complices.