DANSE – Entre danse et théâtre, les « Random Goodbyes » (adieux ordinaires) donnent lieu à une définition macro/micro de notre humanité à travers les yeux belges et chinois de sa distribution. À l’occasion d’une double affiche les 7 et 8 février, le KVS (Théâtre Royal Flamand) invite le public belge à découvrir en première belge une création belgo-chinoise alliant le talent de Moya Michael, David Hernandez et le Jin Xing Dance Theatre.
Le double opus avait été présenté il y a peu, pour une première à Shanghai, introduisant en première partie pile d’Echo, suivi par la face de Random Goodbyes. Oeuvre de collaboration qui a débuté en 2019 entre les deux chorégraphes sous la direction du Jin Xing Dance Theatre, ça n’est que 4 années plus tard que l’opus en duo refait surface, nourri par la complexité d’une pandémie mondiale (et de quelques crises supplémentaires). L’interprétation renaissante apparaît enrichi et met en lumière les interactions des individus avec autrui, les collectivités et la société dans son ensemble. Cherchant à mettre l’accent sur la délicatesse et le caractère inaliénable des liens relationnels, la chorégraphie signe le mouvement de notre espèce.
Jin Xing Dance Theater : késako ?
Au cœur de la chine communiste, le Jin Xing Dance Theatre s’est établi en 1999 sous la vision de Jin Xing. Véritable pionnière en son genre, la danseuse a réussi à transcender les frontières entre Orient et Occident. Dans son parcours jalonné de difficultés, le Jin Xing Dance Theatre s’est érigé non seulement comme le fleuron de la danse contemporaine chinoise mais aussi comme un ambassadeur culturel à l’international. Présente sur scène, Jin Xing présente son double spectacle, rappelant avec quelle liberté l’occident accueille les spectacles nécessaires à la survie sociale. La gestion du Covid par le gouvernement chinois est un angle de lecture possible ? Le double opus ayant trouvé racine à Shanghai, il est possible de se rappeler des vidéos prises par des particuliers qui témoignaient de la situation tragique de ces moments, quand adieux déchirants et cris peuplaient les barres d’immeubles.
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From Shanghai with love
Adieux ordinaires et retrouvailles mémorables avec un public attentif, l’histoire de l’humanité est présentée par ses détails. De l’histoire solitaire au besoin d’appartenance, les liens qui se font et se défont forment le tissu social d’un langage corporellement universel. Du roi à l’homme d’affaire, du vieux sage ou du serviteur : derrière chaque visage s’écrit l’histoire futile du passage sur terre. Ce choix de focus narratif rappelle le genre de film choral développé en premier par les italiens avec notamment Les Vitelloni de Fellini (1953), ou dernièrement la signature du cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu dans Amour chiennes (2000), 21 Grams (2003) ou bien Babel (2006).
Mise à plat
Moins complexe, plus abstraite, la chorégraphie tire le fil rouge des relations nouées avec les chorégraphes Moya Michael et David Hernandez. Fier d’origines multiples, le duo tisse les liens chorégraphiques en rhizome, solide et interconnecté. Le concept de rhizome, élaboré par les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, représente une structure en expansion constante vers toutes les directions horizontales (sans hiérarchie ni niveau), contrastant avec les structures pyramidales ou arborescentes. Sur scène, les tracés d’un passage piéton blanc rappelle la couverture d’Abbey Road des Beatles et illustre le mouvement horizontal des êtres dans la société.
Entre pensée interconnectée et schéma de l’infini grand qui se reflète dans le détail, la chorégraphie Random Goodyes répond à la science de la philosophie, des mathématiques à travers l’analyse des dynamiques sociales et politiques. Mémoire en mouvement, l’écriture chorégraphique permet ici d’évoquer l’évènement vital des corps en lien, tout en laissant une grande place à l’interprétation. Ici, pas de réel dialogue : que des corps dont chacun peut retrouver les mouvements qu’il pratique, qu’il connait, qu’il voudrait pratiquer. Entre théâtre et danse, le mandarin est au cœur de la danse : criant, donnant des ordres, sifflant, le mandarin connecte et cherche à lier. Sur scène s’agite alors un monde jusqu’à l’immobilité provoquée par la crise Covid. Faucheuse en blouse blanche, une danseuse amasse, tire et jonche les corps sur eux-mêmes, sédiment d’un passé corporel qu’il faut oublier.