COMPTE-RENDU – Désormais habitué du Grand Théâtre de Provence, le jeune pianiste français Alexandre Kantorow interprète le 4ème Concerto de Beethoven en Titan, le nom donné à la Première Symphonie de Mahler, avec le Hong Kong Philharmonic Orchestra sous la baguette de Jaap van Zweden :
Titanesque
Premier Français à remporter, en 2019, le prestigieux concours Tchaïkovski, le pianiste reçoit également en ce soir-même de concert, une nouvelle Victoire de la Musique Classique (qu’il accepte donc en visio depuis Aix). Une performance titanesque, à l’image de l’Orchestre qui l’accompagne ce soir (tout en puissance), et qu’il affronte… tout en finesse, transformant le grand Steinway de concert en un piano d’époque, intime confident au souffle boisé.
À voir également : l'interview perchée d’Alexandre Kantorow
L’œuvre Beethovenienne, qui trempe sa plume dans l’encre neuve du romantisme, s’essaye à différents échanges entre l’instrument soliste et l’orchestre, et c’est à leur point de jonction que la conception du pianiste trouve sa singularité, entre recherche et spontanéité. Un tellurisme, ardent et sombre, émane du cratère symphonique, tandis que le piano égrène ses étincelles et recouvre l’espace sonore de lumineuses coulées de lave : entre jeu perlé et legato. Les couleurs sont homogènes, contenues dans l’empan de l’instrument, comme pour ramener la complexité virtuose à l’épanchement poétique d’un cœur simple : entre cadence fougueuse, jusqu’à l’irrespect, et thématisme classique, serein et mesuré.
Le corps du pianiste reste souvent droit, gravure grecque jusqu’aux doigts restant impeccablement en arche – les fameux doigts ronds –, autant dans le chant que dans le trait, dans le trille que dans l’arpège, sans jamais que la pulpe ne vienne freiner le jeu, d’où la fluidité mais au détriment de la sonorité olympienne attendue. L’usage de la pédale est parcimonieux et soigné. La mélodie appelle la pression douce de la pointe du pied, tandis que le rythme mobilise jusqu’au talon, percussif et décidé (à rendre jaloux Achille).
Une tradi-modernité assumée et assurée
En ouverture, la pièce contemporaine Asterismal Dance de Daniel Lo Ting-cheung (1986), prépare le terrain de la symphonie « Titan » de Mahler qui conclut le programme : l’une et l’autre pièce s’emparant de la tradition, jusqu’au folklore, pour la pousser à bout, au-delà des cadres formels et expressifs.
La pièce du compositeur contemporain investit d’autant plus le rythme et le timbre que le langage reste homophonique, entrelacs de mélodies indépendantes, fines ou épaisses. L’œuvre, telle une danse sacrale, permet au directeur musical, Jaap van Zweden, d’ouvrir le grand éventail de sa phalange, le Hong Kong Philharmonic Orchestra. L’éventail – jusqu’aux cors par huit, qui se lèvent comme un seul homme dans le finale – balaye de son souffle nerveux, puissant et colossal, un auditoire sonné par la symphonie dite « Titan ». Le programme, ainsi, est traversé par l’Antique, le Mythique et le Quantique (explosion de la tonalité).
Jaap van Zweden, qui vient d’être nommé à la future direction de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, est à présent est pleinement directeur musical du Hong Kong Philharmonic. Sa gestuelle, aux justes proportions géométriques, fait merveille dans les nombreux changements de tempi. Les éléments – terre, air, eau, feu – s’entrechoquent dans cette musique aux accents de Genèse : comme une voix, orageuse, de la nature, pour reprendre les sous-titres de Mahler.
Le public, fort de cette grande leçon d’organologie (du grec organon : instrument et logos : discours) entre dans la danse sacrale du concert par la percussion non moins puissante et rythmée de ses applaudissements.