COMPTE-RENDU – Le ténor Pene Pati donne un récital à l’Auditorium de Bordeaux accompagné par l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Emmanuel Villaume. Les muscles de l’orchestre, la précision du chant coordonnés par le coach-chef, autant d’ingrédients qui rappellent la seconde passion de Pene Pati : le rugby !
Une équipe soudée et rodée
La collaboration entre Emmanuel Villaume, l’Orchestre National de Bordeaux et Pene Pati ne date pas de ce concert puisqu’ils ont déjà tous les trois enregistré un album ensemble (sur lequel on retrouve d’ailleurs entre autres l’essentiel du programme de la soirée, à l’exception des rappels). Et c’est également dans la maison bordelaise que Pene Pati fut propulsé au-devant de la scène internationale, en particulier grâce à Marc Minkowski qui l’a repéré et révélé.
À Lire également, le compte-rendu Ôlyrix contenant les liens vers ses prestations bordelaises au fil du temps
La symbiose se retrouve dans la musique. Les passes entre les airs et parties orchestrales se font avec fluidité et sans temps mort. L’orchestre est coordonné pour marquer l’essai immanquablement que ce soit en ligne directe, sublimant subtilement la ligne de chant dans « en fermant les yeux », ou par le spectacle virevoltant de la Symphonie Italienne de Mendelssohn dont il fait flamboyer et alterner les chatoyantes couleurs. Seuls quelques couacs rythmiques émanant des bois viennent à de rares moments troubler le pack (au tout début du premier mouvement de la symphonie et dans le prélude de L’Élixir d’amour).
Les muscles développés de l’orchestre
Emmanuel Villaume propose une interprétation puissante et musclée des œuvres et extraits présentés. Cela commence par sa direction sans baguette qu’il mène avec une énergie électrique. Le corps est engagé dans des mouvements rapides et puissants parfois presque brusques. Le volume général est fort. Les nuances sont cependant bien présentes au sein de celui-ci et elles sont négociées avec efficacité. Emmanuel Villaume fait corps avec les musiciens dont le jeu est en phase avec ses gestes. L’entrée du quatrième mouvement de la Symphonie est donnée avec une verve remarquable. L’éclat des cuivres et des bois ressort généreusement, dans l’ouverture de Rigoletto avec ses crescendos théâtraux ou encore dans les puissants forte du prélude de Roméo et Juliette dont les ressorts tragiques de la pièce à venir transparaissent. Il est possible d’y voir l’influence héritée des orchestres américains qu’il a l’habitude de diriger, réputés encore traditionnellement moins timides que les européens. Cette prodigalité de l’orchestre accentue avec goût l’impact des effets et souligne la dimension dramatique de la musique. Un soupçon de souplesse en plus aurait cependant été bénéfique pour le prélude de Donizetti, un brin trop riche. L’orchestre rugbyman sait cependant se faire délicat et subtil pour accompagner les émotions du chant.
Pene Pati : Antoine Dupont de la soirée
Un match réussi c’est une équipe unie mais aussi des joueurs d’exception. Pene Pati est indéniablement l’un entre eux ! Souvent cité pour son bel canto, il se montre tout aussi à l’aise dans le romantisme français. Les possibilités de sa voix semblent infinies, pouvant offrir au public des aigus puissants comme des graves tempérés, des élans engagés comme des piani veloutés, un timbre riche et solaire dans La donna è mobile, humide et sensible En fermant les yeux… Il s’adapte toujours à l’intention et les inflexions de tons confèrent toute leur richesse à chaque extrait. L’Orchestre le suit d’ailleurs dans chacune d’elle, renforçant le poids du texte et l’intérêt dramatique. Dans cette optique, on peut aussi citer le duo que forme avec lui le violon de Matthieu Arama dans la cavatine de Faust. Les accentuations sont pertinentes. Le phrasé et la diction sont impeccables, ce qui est délectable dans l’opéra français. La langue est aussi sublimée que la musique. La poésie des airs est à son comble. Les rimes en « -oile » du Ah, lève-toi soleil ! de Roméo (trop souvent écorchées par les chanteurs internationaux) sont chantées ici avec une fidélité bouleversante. Pene Pati met un peu de chaque personnage en lui, les incarnant avec sincérité.
S’il ne faut rien enlever au talent du chanteur, on y reconnait là aussi la patte d’Emmanuel Villaume, particulièrement attentif au chant. Ce n’est pas pour rien qu’il a été choisi pour certains albums solos des plus grands chanteurs actuels (Diana Damrau, Anna Netrebko, Benjamin Bernheim…).
Il est donné en rappel « Dein ist mein ganzes Herz » (de l’opérette Le Pays du Sourire), sortant de l’intimité pour une déclaration radieuse. Le public est aux anges et ne cesse d’en redemander. Il offre aux artistes deux standing ovations : une avant et une après La Danza de Rossini qui a même été chantée deux fois pour étancher l’inaltérable soif du public.
Essai transformé !
Image de Une : Pene Pati © Simon Fowler and Parlophone records Ltd