CONCERT – Le premier week-end du Printemps des arts de Monaco, qui fête ses 40 ans, s’achève en donnant carte blanche au violoncelle seul d’Henri Demarquette, dans un programme qui permet aux suites de Britten de montrer tout ce que son écriture doit à celle de Bach.
L’art du palindrome : de Bach à Britten et de Britten à Bach
À quelques semaines des JO en France, le concert qui se tient dans la galerie Hauser & Wirth de Monte-Carlo est une vraie performance physique : quatre tour de pistes, quatre suites, sur et pour violoncelle, en solitaire. Elle l’est plus encore quand l’instrument n’est pas prévu pour être polyphonique, et doit extraire de ses propres profondeurs sa basse continue à l’époque baroque, sa grammaire tonale à l’époque classique et sa texture sonore à l’époque contemporaine.
Le programme vise à rendre palpable l’évolution stylistique de Bach et Britten, en eux et entre eux. Les deux premières suites respectives de chacun sont placées en miroir des deux dernières. En langage cinéma, c’est du Nolan. En langage Moyen-Âge, c’est du Guillaume de Machaut : Ma fin est mon commencement !
Bach, début et fin
L’attaque de l’archet est aérienne ou franche, son entretien lisse ou frémissant (Suite n°1, Prélude). L’archet semble divisible en trois zones. Le milieu est celui de la matière sonore dans sa plénitude (Suite n°1 & n°6, Allemande). L’appui de l’épaule, du coude et du poignet permet le contact de la corde avec plus ou moins de crins. La base de l’archet est dévolue à l’ancrage des basses harmoniques, l’extrémité au lâcher prise de la note finale, dans toute sa pureté. Demarquette tourne alors son archet à l’oblique, pour libérer, comme un à un, les crins du contact de la corde. L’archet semble plus long, tel un fil brillant vers le ciel (Suite n°1 & n°6, Allemande). Ailleurs, il parait se dédoubler pour assurer le chant et le remplissage harmonique (Suite n°1, Sarabande). Partout il construit une ligne tendue, articulée et menée à son dernier souffle. Le savant dosage de son avancée et de son recul (tiré et poussé) installe la mesure, et l’ancre à la pulsation. Parfois, c’est l’extrémité de l’archet qui fait le grand saut pour entrer dans la danse (Suite n°1 : Courante, Menuet ; Suite n°6, Gigue).
La main gauche est celle de la justesse et du vibrato, musculeuse et agile chez Demarquette. Elle entre dans la fabrique des tessitures, l’aigu déployant sa plainte ou son extase (Suite n°6 écrite à l’origine pour cinq cordes). Chez Bach/Demarquette, le vibrato structure plus qu’il ne décore, une ligne bien marquetée. Une sorte de miniature de trille, elle-même forme étendue du vibrato (Suite n°1 & n°6, Allemande). Le rebond charnu des doigts sur le manche étiré de l’instrument n’empêche pas la vitesse de leur déplacement. Les doubles notes, produit composé des deux mains, entrent immédiatement en sympathie, au sens acoustique et psychologique du terme.
Britten prend le relais : passage de témoin
Henri Demarquette insère deux suites de Britten, sur les trois que son amitié avec Rostropovitch aura suscitées, comme pour les entourer de l’aura bienveillante et inspirante des deux suites de Bach. Chez Britten se cache un art de la citation que le violoncelliste s’emploie avec doigté à extraire de son interprétation.L’archet pénètre dans la chair blessée de la dissonance, pour en extraire une pâte compacte ou étirée (Suite n°1, Lamento). Frottement et résonance travaillent leurs porosités et leurs seuils d’audibilité (Suite n°3, Dialogo). L’archet rebondit de manière rythmée comme un galop de cheval (Suite n°1 & n°3, Marcia). Le pizzicato active la corde à nu ou à vide, pour éprouver le vide, avec rage ou malice (Suite n°1, Serenata).
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La main gauche étend son parcours sur le manche, sculptant les intervalles à la Rodin ou à la Giacometti. Elle part à la conquête du suraigu, jusqu’à la clarté des harmoniques (Suite n°3). Des sons filés dans le suraigu plongent dans le « chant de la mer » du grave de l’instrument (suite n°1, Lamento). Britten, après Bach, donne dans l’illusion acoustique. Les longues tenues des bourdons sont scandés çà et là, depuis la seule main experte d’Henri Demarquette (suite n°1, Bordone).
Le soliste montre combien les compositeurs pratiquent un braconnage sublime sur les terres fertiles de l’instrument. Les quelques micro-crissements qui étoilent les dernières plages du récital soulagent l’auditoire, révélant l’humanité de l’interprète, ses prises de risque et son énergie finale !
Demandez le programme !
- J.S. Bach – Suite n°1 BWV 1007
- B .Britten – Suite op. 72
- J.S. Bach – Suite n°6, BWV 1012
- B. Britten – Suite op. 87