OPÉRA – Le Festival de l’Opéra de Lyon propose cette année deux nouvelles productions d’ouvrages lyriques du répertoire regroupés sous l’intitulé Rebattre les cartes, soit La Fille du Far West de Giacomo Puccini et La Dame de Pique de Piotr Ilitch Tchaïkovski.
Cartes sur tables
Le jeu de cartes dans toutes ses multiples composantes, de la tricherie la plus évidente jusqu’au tarot mystique, occupe une place singulière dans le monde de l’opéra. Carmen bien entendu s’impose avec le fameux trio des cartes où la belle bohémienne se tire elle-même les cartes pour connaître son destin et y découvrir une mort qu’elle assumera sans fléchir. Des Grieux se ruine pour Manon à l’Hôtel de Transilvanie et la perd, tandis qu’Alfredo Germont insulte Violetta dans La Traviata en lui jetant au visage l’argent gagné à la table de jeu.
Dans La Fille du Far West, Minnie est la patronne du bar La Polka où se retrouvent chaque jour des chercheurs d’or de toutes origines pour boire et jouer aux cartes. Une femme forte et indépendante, non asservie, qui n’hésite pas à tricher au poker contre le shérif Jack Rance, pour sauver tant sa vertu que l’homme qu’elle aime, Dick Johnson. Dans la Dame de Pique, le secret des trois cartes maudites aliènent la destinée de La Comtesse, d’Hermann et de Lisa, avec la mort et la folie pour corolaire. Les deux spectacles présentés à l’Opéra de Lyon exploitent complétement ces données dans un esprit diablement excitant.
Les cartes ne mentent pas
Dés le lever du rideau, la menteuse en scène Tatjana Gürbaca ne récuse pas ce Far West rugueux et illusoire, avec ces chercheurs d’or venus des quatre coins du monde pour s’enrichir avec l’espérance chevillée au corps d’un avenir plus souriant. Tous les protagonistes sont figés dans un environnement photographique sépia à l’ancienne. Mais bien vite, tout s’agite et s’affronte avec violence. Minnie seule, à la fois maternelle et dotée d’un caractère bien affirmé parvient à rétablir et maintenir l’ordre. Tous l’admirent et certains soupirent après elle, dont en premier lieu le shérif Jack Rance. La venue du fier Dick Jonhson, alias le bandit de grands chemins Ramerrez que tous recherchent, va rebattre les cartes et bouleverser Minnie. Malgré ce contexte général pesant et les menaces qui s’y rattachent, l’ouvrage s’achève en happy-end avec le départ des amoureux vers d’autres horizons. Tatjana Gürbaca offre une lecture à la fois puissante et attentive de l’ouvrage. Elle ne se fourvoie à aucun moment dans une sorte d’exotisme daté : le Far west dans toute ses démesures est bien présent, mais sans ses clichés que le cinéma hollywoodien a si souvent véhiculés.
As de pique
Le climat d’ensemble s’appuie sur les lumières vives, incisives ou plus sombres élaborées par Stefan Bolliger, les costumes de vrais travailleurs de force que sont les chercheurs d’or (Le pyjama vaporeux du second acte est moins convaincant en revanche), tandis que les décors un peu rupestres de Marc Weeger (dont celui du 2ème acte avec ses cordes menaçantes reliées aux cintres), s’accordent totalement à la volonté de la metteuse en scène. Tatjana Gürbaca s’attache tout particulièrement aux ensembles et aux déplacements des chœurs. Le début de l’acte 3 apparaît à ce titre remarquable par son caractère violemment dramatique et cette aisance à faire évoluer les forces en présence.
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Point par point : as des as
- Dans le rôle-titre, Chiara Isotton rafle tous les suffrages. Excellente comédienne, elle s’investit sans complaisance pour elle-même dans ce personnage à la fois attachant et difficile de Minnie. La voix large et d’une belle facilité d’émission jusque dans les aigus un rien meurtriers voulus par Puccini, occupe l’espace avec vigueur et énergie, tout en se pliant de façon fort expressive dans les moindres méandres du rôle.
- A ses côtés, le ténor Riccardo Massi lui offre une réplique de même niveau. Cette voix mordorée et presque naturelle, aux aigus lumineux voire solaires, ne cesse de dispenser une juste expressivité, voire une poésie irradiante au 3ème acte.
- Déjà présent dans le rôle de Jack Rance lors de l’entrée au répertoire de l’ouvrage en 2014 à l’Opéra Bastille auprès de Nina Stemme et Marco Berti, Claudio Sgura dispense une voix de baryton très caractérisée, sonore et véhémente qui convient bien à ce personnage complexe au demeurant assez peu sympathique.
- Tous les autres rôles sont tenus avec art et application, notamment les huit mineurs solistes. La mezzo-soprano Thandiswa Mpongwana attachée au Lyon Opéra Studio se fait remarquer une nouvelle fois par sa voix dense et colorée dans le rôle de l’indienne Wowkle.
Voilà pour cette Fille du Far West qui avait un as dans la manche. Mais l’Opéra de Lyon avait encore une carte forte dans sa main : La Dame de Pique de Tchaïkovski, à découvrir… au prochain épisode !