DANSE – Pour sa première création à la tête du Tanztheater Wuppertal, Boris Charmatz se lâche totalement pour le meilleur ou pour le pire avec une danse très libre où chaque danseur exprime sa personnalité. Une chorégraphie clivante qui divise mais qui reste une expérience immersive et participative à vivre au théâtre du Châtelet jusqu’au 18 avril.
Boritz Charmatz, successeur de Pina ?
Fin 2022, Boris Charmatz reprend la tête de la compagnie de Pina Bausch, Tanztheater Wuppertal, sa mère spirituelle, qui l’a dirigé de 1973 à 2009. Une tâche bien difficile de suivre les pas de la grande Pina. Il nous présente aujourd’hui à Paris sa dernière création, créée dans l’église à l’architecture brutaliste Neviges Mariendom, près de Wuppertal, en Allemagne, puis ensuite transposé dans une halle industrielle à Lyon, et enfin sur des scènes plus classiques comme l’Opéra de Lille, puis maintenant sur celle du Théâtre du Châtelet, qui s’est refait une beauté pour l’occasion. Les sièges de l’orchestre ont disparu sous un plancher sur lequel sont posés des gradins qui détonnent tout autour de la scène pour une immersion totale. Intéressant sans aucun doute. L’idée de Charmatz est de faire une « communauté dansante, une église sans église » et d’avoir un public à 360° comme dans certaines cathédrales.
Cathédrale humaine : Beethoven
Dès l’entrée dans la salle, nous sommes plongés dans une atmosphère tamisée et angoissante : une lumière jaune flashy. Plus les danseurs arrivent tous ensemble, ils se déplacent sur la scène en marche rapide et entonnent à l’unisson des « lalala » qui s’avèrent être la Sonate pour piano n°32 de Beethoven. Leurs voix résonnent comme sous les voûtes d’une cathédrale pour créer une onde sonore assourdissante qui les fait chuter et crapahuter, comme si les faibles n’avaient plus leur place dans cette église. Les cloches sonnent, et le chaos devient encore plus grand. Chaque danseur n’en fait qu’à sa tête.
Vint ensuite le silence comme un grand cri silencieux avec des bouches béantes. Pendant l’élaboration de cette partie, Charmatz et ses danseurs ont « lu beaucoup de témoignages de victimes de pédo criminalité dans l’église ». Malaise… Un silence à nous glacer le sang, comme s’il était provoqué par l’Église elle-même, coupable précisément d’avoir fait le silence…. Puis chaque danseur chante ou plutôt crie chacun à leur manière le « Fuck The Pain Away » de Peaches. Chaque interprète peut exprimer toute sa personnalité et interagir avec le public.
Rétro vitraux
On assiste alors à cinq tableaux exécutés par 25 danseurs. Ça serait mentir de dire qu’on distingue facilement les cinq tableaux qui se délimitent par une entrée et sortie des danseurs ou des jeux de lumières : du jaune soleil aux néons blancs version film d’horreur nous éblouissant parfois. Tout se ressemble : une improvisation totalement barrée où les danseurs font littéralement ce qu’ils veulent : grimper sur le mur du Châtelet, crier très fort, enlacer, câliner ou chuchoter dans l’oreille de certains spectateurs, courir, sauter, ramper sur le sol, mettre la main dans leur slip : on en passe et des meilleurs. Bref, une version 2.0 de L’Exorciste. C’est un peu comme ces cours de Gaga danse que l’on fait en tant qu’amateur le weekend au Carreau du Temple, en beaucoup plus trash.
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Après, rien de bien nouveau dans cette danse très années 70, entre les grands mouvements où les artistes s’approchent et se repoussent ou encore la scène finale où ils s’écrasent les uns sur les autres pour former une pyramide humaine. C’est du vu et archi vu. Mais la dernière scène a quelque chose d’émouvant, quand une danseuse en équilibre s’extrait de ce charnier de corps sur une musique d’orgue intense et funèbre.
Une confession à vous faire…
Le titre « Liberté Cathédrale » résume parfaitement la réflexion sur la religion et la liberté. La cathédrale est le symbole d’une institution religieuse avec beaucoup de règles. Quelle liberté peut-on s’octroyer dans ce cadre ? Comment la liberté individuelle peut-elle s’affranchir de l’autorité collective ? Le sujet est noble, mais la durée (1h45) est éprouvante, que ce soit pour les danseurs ou le public. Alors oui bien sûr, on vit une expérience inoubliable, surtout si on a la chance ou non d’être enlacé par un danseur ou de venir sur scène pour se faire réciter un poème de John Donne « la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain », mais à quel prix ? Celui du consentement ? Mais c’est un autre débat. En tout cas, Charmatz marque un grand coup.