CONCERT – La cheffe Barbara Dragan emporte l’Orchestre de l’Opéra de Toulon dans une campagne sans violence impériale, du Concerto pour piano n°5 dit « l’Empereur » à la Symphonie n°3 dite « L’Eroica ».
Bien qu’elles aient été rayées par Beethoven, les références à Bonaparte contenues dans le titre des deux œuvres agissent sur la manière de les interpréter (les jouer comme les entendre). Quelles caractéristiques musicales entrent-elles en jeu dans l’expression de l’héroïsme, expression, chez Beethoven, de la liberté contre la tyrannie, du don de soi contre l’expansionnisme ?
Culture du pouvoir, pouvoir de la culture
Ce pôle, contenu dans la musique de Beethoven, renvoie à une esthétique de la grandeur, soucieuse d’ordre et de limpidité. Il se donne sous l’apparence de la cheffe Barbara Dragan, à la mainmise décidée et rassurante à la fois. On pense à l’arcane IV, dit « l’Empereur », dans le tarot de Marseille. Bien ancrée sur son estrade, elle semble faire face à une grande carte d’État-Major, sur laquelle elle ordonne mouvements, stratégies et ressources. Ses gestes sont amples, symétriques, orientés vers le haut. Elle souligne les carrures et les cadences. L’énergie déployée est à la hauteur du propos. Il s’agit, pour la cheffe, de mettre la musique à l’air libre. Force explosive des bras et minutie digitale de maquettiste cohabitent pour conduire les deux grands véhicules du programme.
Côté orchestre, cuivres et timbales sont, non pas au garde-à-vous, mais à l’avant-garde de la forme musicale, portant à son sommet l’attente de la détente, aux quatre coins du monde sonore. La petite harmonie, surexposée au beau milieu de ce matériau solide et sonnant, délivre ses notes obsessives. Elles percent le tissu sensible du quatuor, ou, à l’inverse, en arrondissent les angles.
Arrondir les angles ou mettre de la poudre aux yeux ?
Le Pianiste italien Leonardo Pierdomenico tient dans ses mains, fermement arrimées au clavier, son grand sceptre noir d’Empereur. Droiture et élégance sont attachées à sa posture. Il fait de grands gestes en arrière, comme pour regagner son point d’équilibre, lorsqu’il laisse la parole au tutti.Le son, dans la cadence initiale, est profond et ne s’évapore pas dans les nuées d’arpèges.Il y a un certain panache dans sa manière d’attaquer la note finale d’un solo, au point de dénouement de la cadence, quelques nanosecondes avant l’orchestre. Les traits sont martelés en percussionniste, tandis que gammes, arpèges et passages modulants sont clairement enchâssées dans ce métal en fusion.
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Le piano de Leonardo Pierdomenico comporte aussi ses moments de demi-teinte, lorsqu’il pose la première note de son trille, avec une simplicité d’hirondelle, puis le promène, avançant de plus en plus vite, pour le quitter avec un toucher plus léger. Il donne à ces moments d’apesanteur chers à Beethoven, le miroitement intérieur d’un luxueux poudrier, ce petit lac d’argent tenu dans le creux de la main élégante. Le pianiste met parfois un peu de flou dans l’arrivée et le redépart d’un trait, angles de la musique qu’il cherche peut-être à arrondir, faisant appel à son toucher-signature, aérien et cotonneux. L’orchestre met alors ses patins de feutrine ou laisse s’échapper des alliages grésillant. La texture est faite de fumerolles, de braises sous la cendre : fanfares furtives, travail à la lisière du son, notamment dans la longue marche funèbre de l’Eroica, dont la lumière et les tréfonds se déterminent mutuellement.
Demandez le programme :
- L.V. Beethoven – Concerto pour piano no 5, Op. 73 « L’Empereur »
- L.V. Beethoven – Symphonie no 3, Op. 55 « Héroïque »
- L.V. Beethoven – Tarentelle de la Sonate n°18 pour piano