Grand coup de cœur pour Guercœur !

OPÉRA – L’Opéra national du Rhin ressuscite avec éclat un opéra d’Albéric Magnard, Guercœur, ouvrage fascinant et complexe, qui requiert des voix larges et solides. Pour Stéphane Degout dans le rôle-titre et Catherine Hunold dans celui de Vérité, le costume est bien taillé.

Une partition descendue du ciel

Tragédie Lyrique en trois actes, Gercoeur d’Albéric Magnard fut composé entre 1897 et 1901. C’est sûrement l’œuvre la plus ambitieuse de ce compositeur solitaire, admirateur de Richard Wagner et disciple de Vincent d’Indy. Il fallut attendre l’année 1931 pour que l’ouvrage soit enfin présenté au public en entier au Palais Garnier. Et depuis, en dehors de l’intégrale gravée il y a plusieurs décennies (Michel Plasson avec José Van Dam) et d’une série en 2019 à Osnabrück, la page semblait irrémédiablement tournée. Cette recréation de Gercoeur à l’Opéra du Rhin en tout point remarquable vient enfin éclairer de tous ses feux cet ouvrage parmi les plus importants du répertoire lyrique français.

Guerre et ciel : la vision de Magnard

L’histoire de ce guerrier décédé qui revient sur terre, pensant vainement retrouver l’amour intact de sa bien-aimée Giselle et celui de son peuple auquel il a offert la liberté peut surprendre. Derrière ce déroulé, se cachent les prémonitions du compositeur (qui mourra tué par les troupes allemandes en 1914 alors qu’il tentait de préserver sa maison) et une dimension politique avec ce peuple se livrant au tyran, Heurtal. La musique de Magnard, très symphonique, rivalise de beauté et d’opulence : dans les deux actes à caractère céleste, ou celui intermédiaire, le plus dramatique et le plus développé, qui voit les confrontations de Gercoeur avec Giselle et des partisans de Gercoeur avec ceux du tyran qui lui a succédé. Très habilement, Christof Loy a choisi de servir l’œuvre sans la trahir, proposant une vision à la fois sobre au plan global, mais aussi presque contemplative aux actes célestes. Toute sa mise en scène très précise et ordonnée sert chaque artiste au plus près du personnage incarné, sans brouiller les piste. 

© Klara Beck
Voix par voix : ciel étoilé

Le plateau vocal réunit à l’Opéra national du Rhin par son directeur Alain Perroux, ne connait aucune faiblesse et s’empare de cette partition avec une conviction chevillée au corps. Tous rendent pleinement intelligible le texte dans une diction exemplaire.

  • Dans le rôle-titre, Stéphane Degout interpelle par la profondeur de son interprétation, la qualité de son chant et sa plénitude que le soutien parfait du souffle lui permet de maintenir tout au long de la représentation.
  • Catherine Hunold incarne une déesse Vérité superbe de présence et d’humanité. Sa voix de soprano à la fois dramatique mais claire de timbre rend pleinement justice à sa difficile partie.
  • Dans le rôle de Giselle, Antoinette Dennefeld délivre un chant d’une rare intensité, sa voix de soprano au large spectre donnant ici sa pleine mesure. Et son interprétation de cette jeune femme partagée entre le souvenir de son premier amour et celui qu’elle vit à l’instant avec un suprême bonheur avec Heurtal est vraiment bouleversante .
  • Le jeune ténor Julien Henric se taille justement la part du lion dans le rôle d’Heurtal. Son matériau vocal combine fermeté et vaillance, avec des élans irrésistibles dans l’aigu : un fort ténor vient d’éclore !
© Klara Beck

Le reste du plateau, sur un nuage :

  • Eugénie Joneau dans le rôle de Bonté, d’une grande justesse expressive,
  • Gabrielle Philiponet prête une voix ronde et bien projetée : une vraie Beauté.
  • Adriana Bignani Lesca offre au rôle clé de Souffrance sa voix d’alto profonde et aux graves somptueux.
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Le choeur dirigé par Hendrik Haas déploie pour sa part toutes les qualités qu’on lui connaît, depuis ses interventions lumineuses depuis les coursives jusqu’à celles plus complexes de l’acte 2. Sous la baguette irradiante de maîtrise technique d’Ingo Metzmacher, l’Orchestre philarmonique de Strasbourg se dépasse encore plus qu’à son excellente habitude. Il déploie une richesse instrumentale continue qui rend totalement hommage à la musique d’Albéric Magnard. Au moment des saluts, le chef brandit comme un trophée la partition de Gercoeur en direction des spectateurs, qui redoublent encore plus d’enthousiasme et rappellent les artistes à de nombreuses reprises. 

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