AccueilA la UneAu TCE, grand W pour Wilson, Wagner et Walkyrie

Au TCE, grand W pour Wilson, Wagner et Walkyrie

COMPTE-RENDU – Concert renversant au Théâtre des Champs-Élysées pour une Walküre redoutablement efficace avec Tamara Wilson, Elza van den Heever, Stanislas de Barbeyrac et Brian Mulligan dans les rôles principaux, sous la direction monumentale de Yannick Nézet-Séguin.

A pour Attente

« C’est l’événement de la saison ! » « Je n’aurais raté ce spectacle pour rien au monde ! » Autour de nous, une impatience palpable, communicative. Il faut dire que l’attente est à la hauteur du rendez-vous musical : de grands noms du monde lyrique actuel, un chef nourri aux phalanges américaines, un orchestre aussi fourni que l’égo du compositeur… de quoi ronger son frein ! C’est que, en effet, et malgré ce que l’on voudrait en dire, il n’y a qu’un constat : Wagner, c’est tout ou rien. Mais c’est souvent tout, et à sa mesure toute démesurée. Retour en abécédaire (ou presque) sur une soirée aussi complexe que l’œuvre et son maître.

F pour Fiévreux (ou E pour Épique, au choix)

Le premier mot qui vient, et qui peut convenir à l’ambiance wagnérienne, mais surtout à l’ouverture tempétueuse de Die Walküre, c’est celui de fiévreux. L’orchestre tremble, l’orage gronde et l’archétype du héros torturé surgit. Ce soir, Stanislas de Barbeyrac est Siegmund et il faut dire que l’adjectif lui convient bien : enfiévré, il l’est dès ses premiers sons dans une diction allemande impeccable et engagée. La vaillance du timbre, un brin rauque avant de s’ouvrir, la douceur des inflexions, la gestuelle noueuse pleine d’inquiétude, la noblesse des traits, des expressions et du corps, tout permet d’esquisser un homme plein de courage et de fragilité, aussi têtu qu’amoureux, autant poète que guerrier. Le chanteur semble correspondre aux attentes écrasantes du rôle, notamment dans le 1er acte, si ce n’est çà et là des sons un peu en retrait lorsque l’effort physique prend le pas sur une projection plus libre et riche. Mais cela ajoute à l’enfièvrement épique qui tend toutes les scènes où le personnage est présent, transmettant l’urgence de son sort à un public conquis d’emblée.

M pour Monumentalisme !

Le public, conquis par l’unique chanteur français du cast, l’est aussi par la direction de Yannick Nézet-Séguin (à la tête du non moins méritant Rotterdams Philharmonisch Orkest) dont l’aura nord-américaine dépasse le simple Metropolitan Opera (NY) où il a ses fonctions. Personnalité sympathique et tonique, le mot le mieux adapté semble être le monumentalisme pour désigner sa direction, s’alliant aussi bien à la démesure wagnérienne qu’aux effets quasi systématiques d’un orchestre poussé à l’extrême de ses sonorités pour habiter les situations et souligner les émotions et autres leitmotivs des personnages et objets sacrés. Si la lecture manque peut-être de finesse ou d’une approche plus personnelle, on ne peut pas dire qu’on n’en a pas pour son argent ! C’est aussi efficace qu’une bande-son Disney ou qu’un énorme mélo à la Douglas Sirk, voire qu’un bon gros péplum ! Le public en redemande et ovationne longuement orchestre et chef.

À Lire également : 3 questions à Yannick Nézet-Séguin

À ses côtés, et ne donnant pas non plus dans la dentelle, on peut apprécier le Hunding massif (autant physiquement –les pecs bien en évidence dans son costume– que vocalement) de Soloman Howard et la Fricka grandiloquente de Karen Cargill. Le premier donne à entendre une voix noire, corsée, loin du style allemand mais avec un panache qui ne fait du rôle qu’une bouchée tonitruante. La seconde porte à bout de bras, dans une gestuelle aussi gracieuse que tyrannique, les lois du mariage avec une voix puissante aux accents implacables, à la rondeur chatoyante et ductile.

À ce gigantisme s’ajoute l’apparition d’un véritable mur vocal à l’ouverture du 3e acte, lors de la fameuse Chevauchée des Walkyries, où l’on ne sait plus des chanteuses ou de l’orchestre qui emporte le combat de décibels ! Qu’il s’agisse de l’Helmwige de Jessica Faselt, de la Gerhilde de Brittany Olivia Logan​, de l’Ortlinde de Justyna Bluj, de la Waltraute d’Iris van Wijnen, de la Siegrune de Maria Barakova, de la Grimgerde de Ronnita Miller, de la Schwertleite d’Anna Kissjudit ou (enfin !) de la Roßweiße de Catriona Morison, toutes proposent un son précis, centré, sonore et coloré, sans que jamais un vibrato ne prenne le pas sur les autres, une expression ne déséquilibre une autre, les harmoniques se confondant dans une brillance métallique idéale pour les sœurs de Brünnhilde et la dynamique sensationnelle de la scène. Époustouflant !

S pour Subtilité (quand même !)

Face à ces explosions musicales qui par leur extravagance passent parfois à côté du propos, un mot se glisse en contrepoint –essentiel pourtant–, celui de subtilité. Eh oui ! malgré le gigantisme et la démesure épique, malgré les feux d’artifice vocaux et la grandiloquence du livret, Wagner appelle la nuance, la délicatesse, la rigueur d’un chant et d’une présence artistique sans (trop d’) esbroufe. C’est quelque chose qu’Elza van den Heever et Tamara Wilson maîtrisent à le perfection. La première est une Sieglinde éplorée, majestueuse et fragile, trouvant souvent le geste vocal ou scénique correspondant à son émotion et ne cherchant jamais à forcer l’instrument au-delà d’une puissance lumineuse qui se déploie peu à peu avec l’assurance d’un mécanisme parfaitement huilé. De même la seconde est une Brünnhilde qui n’a pas à pâlir : loin d’alourdir sa voix pour les effets, loin de se restreindre à une interprétation monolithique, la chanteuse est au plus proche de la partition et des aléas intérieurs de son personnage, étant tantôt joyeuse et légère avec son père, solennelle puis bouleversée lorsqu’elle vient apprendre à Siegmund sa mort prochaine, puis d’une ingénuité combattive lorsqu’elle désobéit et affronte la colère de Wotan, portée par l’évidence de son destin. Elle parvient d’un seul mouvement, voire dès ses entrées scéniques, à faire passer ces subtilités dans une diction propre et liée et des couleurs ménageant tout le temps l’expression et la beauté dans un équilibre plein d’intelligence. Le public les ovationne longuement toutes deux, saluant en elles, à côté du Siegmund de Stanislas de Barbeyrac, les piliers wagnériens de la soirée.

T pour « Tunnel » wagnérien

À ces piliers manque un dernier qui, ce soir, ne convainc pas tout à fait. Rôle aussi monstrueux que le personnage, le Wotan de Brian Mulligan est en difficulté. La voix quoique ronde et expressive se trouve souvent contrainte par une diction très inhibante, souvent maxillaire, et par des notes aiguës dont la couleur perd à le fois en profondeur et en puissance. En résulte un chanteur sur ses gardes qui ne parvient jamais à se libérer des limites techniques de son instrument (visage qui rougit beaucoup, mains sur le torse, tête qui se tourne vers l’orchestre quasi systématiquement pour lancer les notes les plus exposées et qui, en conséquence, ne parvient qu’imparfaitement à la salle). Il faut dire, en plus de cela, que le chanteur n’est pas aidé par un rôle qui peut vite s’avérer être un cauchemar pour le spectateur néophyte ! Très présent et très bavard, il fait appel à toute l’énergie de son interprète pour éviter les (inévitables) tunnels wagnériens… ne serait-ce que lors du monologue d’une dizaine de minutes, au 2e acte, où il résume à lui seul l’essentiel du précédent opus (Das Rheingold). Quel Everest ! C’est donc plutôt dans le duo final, où l’infatuation du personnage s’effondre face à la candeur inébranlable de sa fille, que l’artiste émeut, ses limites vocales s’accommodant bien mieux de la sensibilité du père que des accents colériques du roi des Dieux.

Conclusion en grand W

Une dernière image saisit parmi tant d’autres : Brian Mulligan, libéré des plus grosses gageures du rôle, visiblement ému par la situation dramatique, laisse son Wotan baiser une dernière fois le front de sa fille Brünnhilde en pleurs… Des reniflements ponctuent les silences et la douceur qui s’empare des pupitres de l’orchestre, le public s’étant laissé prendre lui aussi à l’émotion qui se dégage de l’indéfectible amour qui unit le père à sa fille. L’acclamation unanime de toute la salle, avant même que le bras du chef ne s’abaisse tout à fait, est signe s’il en fallait un d’une soirée réussie ! W comme Wouah !

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