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Daniil Trifonov ou l’incarnation du piano

COMPTE-RENDU – Le pianiste russe Daniil Trifonov, pour son premier concert public à l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton (Paris), a frappé un grand coup. Son programme, introduit par Rameau et conclu en apothéose par la sonate Hammerklavier de Beethoven, a été une démonstration de talent et de musicalité. Daniil Trifonov ou l’incarnation du piano.

Daniil Trifonov, dont l’aisance au clavier est inversement proportionnelle à sa gêne sur scène, est une des rares personnes pour qui le piano semble avoir été inventé. Son intelligence de la partition, son toucher sublime, qu’il sait doser au millimètre et sa virtuosité quasi sans limites font de lui un des grands hérauts du répertoire pianistique. À croire que les compositeurs rêvaient de lui quand ils écrivaient leurs œuvres.

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Un parcours de géant

Né en 1991 à Nijni-Novgorod, le long de la Volga, à 400 kilomètres à l’est de Moscou, il part étudier au Cleveland Institute of Music (États-Unis) avec le grand Sergei Babayan. En 2010/2011, âgé de vingt ans, il enchaîne les récompenses : 3ème prix du concours Chopin de Varsovie, 1er prix du concours Rubinstein de Tel-Aviv, doublé 1er prix et grand prix du concours Tchaïkovski de Moscou ! Depuis, il déroule tranquillement sa carrière, avec une humilité et une décontraction assez déconcertantes.

Autant dire que le public se pressait en masse, jeudi dernier, aux portes de l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, pour assister au premier concert public de Trifonov en ces lieux. S’ensuivit alors une heure et demie de récital absolument stratosphérique, fait d’une inéluctable montée en puissance doublée d’une infinie variété d’expressions musicales, le tout en parfaite maîtrise technique.

Un Rameau… d’olivier

Pour commencer les festivités, la Suite en la mineur, RCT 5, de Jean-Philippe Rameau. Initialement pensée pour le clavecin, elle requiert de la précision, de l’habileté dans les ornements et un clair suivi des lignes musicales. Elle demande également le bon positionnement pianistique, avec un dosage fin de l’usage de la pédale douce et de la pédale d’expression, pour ne pas noyer les notes tout en évitant la sécheresse. Vœux exaucés haut la main -et même les deux !- par Trifonov, tant son jeu épouse les formes des différentes danses de la suite, semblant à la fois les modeler tout en se faisant l’humble serviteur de l’intention musicale de Rameau. Les nuances douces et piano sont privilégiées, sans doute en prévision de la suite du programme, qui demande un engagement important des forces. Une paix indicible s’installe alors dans le grand espace vitré imaginé par Frank Gehry, pendant que la nuit tombe doucement sur le Bois de Boulogne.

Un Mozart… divin

Certes, la formule est éculée, mais elle semble incontournable ici. La 12e Sonate en Fa Majeur, K 332, de Wolfgang Amadeus Mozart, est un bijou d’inventivité musicale dans le respect de la forme. Les doigts doivent y être véloces et volubiles, prompts à rebondir et animés de vie propre. Avec son touché absolument unique, Trifonov parvient à faire sonner un véritable orchestre miniature, aux timbres foisonnants et aux expressions tour à tour enfiévrées et exquises. Il met au défi les difficultés techniques et fait briller l’œuvre de mille feux, installant l’ensemble du public dans un état de langueur avancé.

Un Mendelssohn… qui rend hommage à Beethoven

Un tournant s’amorce ensuite, avec les Variations sérieuses, opus 54, de Felix Mendelssohn. La pénétration dans le clavier arrive, avec un enrichissement du discours harmonique sur base d’un thème dense et majestueux. Avec sa posture assez droite et son jeu dans le clavier, à l’intérieur des touches, Trifonov enchaîne les variations, sans difficultés apparentes, alors que la complexité harmonique requiert des doigts de fer et une dynamique sûre. Les couleurs profondes et funèbres qu’il puise du Steinway de concert confirment que le piano semble avoir été inventé pour lui.

Un Beethoven… martelé

Et pour conclure ce concert, rien de moins que la Hammerklavier, la 29ème sonate pour piano de Beethoven, un des Everest du répertoire pianistique. Longue de plus de 40 minutes, elle a été pensée par Beethoven pour mettre en valeur le principe même du piano : des cordes frappées par des marteaux (Hammer, en Allemand), avec un échappement rapide. Pour cela, il va écrire une partition diabolique à jouer, dont le finale enchaîne les imitations sur une magistrale fugue à 5 voix, prodige d’écriture mais également d’expressivité. Pour cette Hammerklavier, le jeu de Trifonov se fait halluciné, poignant à l’extrême et repoussant les limites techniques et d’endurance. Pas une note n’est sacrifiée, pas une intention musicale n’est négligée, dans un état de concentration et de transcendance rarement vus en concert.

Daniil Trifonov © Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq

Alors que le public redouble d’applaudissements, le pressant de revenir saluer, il semble fuir l’exercice, préférant proposer, assez rapidement, trois bis, respectivement I Cover the Waterfront, de Johny Green, dans un arrangement d’Art Tatum, le mouvement lent de la sonate n°3 d’Alexandre Scriabine et un extrait des Variations sur un thème de Chopin de Federico Mompou. Stupéfiant Trifonov.

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