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Secrets d’Histoires à Buenos Aires : quand le Dauphin nous Bern…

CONCERT – L’ensemble baroque Les Passions a quitté Montauban pour une tournée sud-américaine qui passe par l’Argentine, et le Teatro Colón de Buenos Aires. Découvrons ce spectacle sous le signe de Versailles en le plaçant en vis-à-vis d’un curieux document du milieu du XIXe siècle, récemment exhumé par une équipe de chercheurs franco-argentine.

Signé de façon apocryphe « L.C.R.F. » (vraisemblablement pour « Louis Charles Roi de France »), le manuscrit autographe dont on vous parle est attribué à un certain Pierre Benoît, architecte, ingénieur et naturaliste français né à Calais en 1794 et mort à Buenos Aires en 1852. D’aucuns, des deux côtés de l’Atlantique, ont considéré ce mystérieux individu comme le Dauphin, héritier de la couronne de France sous une identité masquée suite aux affres de la Révolution, et donc comme un possible Louis XVII. Rédigé en espagnol (vraisemblablement vers 1850), d’une graphie assez lisible, quoiqu’un peu hachée et nerveuse, ce manuscrit, dans un relatif bon état et longtemps resté dans les archives familiales, forme un projet de roman (incomplet et inachevé) intitulé Les Passions scintillantes. Nous en traduisons ici un extrait (il est question d’un rêve du protagoniste, Pierre B***, relaté par lui-même) susceptible de relancer le débat sur l’identité cachée de Louis XVII.

Buenos Aires, an de grâce 1850,

L’immensité du théâtre, qui portait le nom du navigateur ayant découvert cet immense continent que formaient les Indes occidentales, était sans commune mesure, disproportionnée tant par les lois du rêve elles-mêmes que par les effets de miroir propres aux galeries des glaces, dont le salon longitudinal dans lequel je me trouvais maintenant était pourvu. Mon imaginaire d’architecte, porté par de récentes conversations avec les autorités de Buenos Ayres autour d’un projet monumental d’opéra pour la capitale du Nouveau Monde qu’elles appelaient de leurs vœux, était sans doute à l’origine de cette mégalomanie onirique. Cet étourdissement était au contraire la promesse rassurante ou la caresse délicate d’un passé exhumé où marbres et colonnades me rappelaient aux fastes et aux dorures du plus grand et du plus beau château que l’esprit humain ait jamais conçu : Versailles ! J’en fus d’autant plus surpris de reconnaître les premières mesures d’une partition jouée maintes fois pour le plus célèbre de mes aïeux, le Roi-Soleil. Car c’est bien à partir de cet instant, par les notes scintillantes qui s’échappaient des instruments comme les rayons d’un astre étincelant, que je pris conscience, avec une certitude qui ne m’était pas coutumière, de mon illustre lignage. Une bonne fée, qui m’indiqua la place de choix qui m’était réservée dans ce salon versaillais, me susurra, dans un parfait françois d’Île de France, qu’il s’agissait de musiciens de la bonne ville de Montauban.

« Voyez, Sire – je fus surpris et même fort marri de cette qualification –, à quel point l’orchestre Les Passions, ici réduit à un quatuor, interprète avec délectation les Pièces en trio pour deux dessus et basse continue en Mi mineur de Marin Marais, votre gambiste favori que vous aviez sans doute reconnu. M. Jean-Marc Andrieu, qui dirige sobrement mais non sans rigueur et solennité cet ensemble, insuffle l’inspiration qui est la sienne dans cette flûte qu’il enchante pour vous. La clarté angélique du violon rieur et dansant qui l’accompagne est celle de M. Lucien Pagnon. Mme Annabelle Luis, comme vous le constatez, s’inspire du jeu de la viole pour faire de son violoncelle la corde vibrante, tantôt chatoyante, tantôt langoureuse, de vos souvenirs d’antan. M. Yvan Garcia enfin, derrière son clavier, n’est plus claveciniste : il dessine du bout des doigts, tel un Grand horloger tapi dans l’ombre, une voûte céleste aux mélodies qui vous sont dédiées. Cette divine luminosité qu’ils instillent collectivement à votre ouïe attentive, c’est la vôtre, Sire, n’en doutez point ! »

© Ckêo

Mon invisible ambassadrice se dédoublait en une narratrice nommée Liz Antezana, bien sud-américaine celle-ci mais tout aussi féérique, contant avec moult détails au nombreux public le contexte des œuvres, ce que cette souriante assemblée disciplinée semblait apprécier tout autant que moi.

Un moment de doute, sorte d’éclipse sonore, s’empara de moi alors qu’Yvan Garcia, livré soudainement à sa pleine solitude, exécuta Les Barricades mystérieuses pour clavecin seul de Couperin. La maître d’œuvre devint soudain grave, raide comme un automate, tel un souverain sourd, vide d’empathie, mais habile manipulateur alors qu’il tire de son instrument par l’homogénéité grise de son toucher l’insolente rigueur des famines d’hiver, l’épaisseur du brouillard quand la mort sonne l’heure, la misère de l’Homme et son bien vil destin. Barricadés nous sommes, barricadés nous resterons !

Cette obscure clarté cornélienne se dissipa bien vite dans l’atmosphère joyeuse du Huitième concert Royal dans le Goût Théâtral du même Couperin, retrouvant les plaisirs de la danse et le caractère aérien des ornementations lyriques. Ce fut comme un transport, un enivrement, la réminiscence de brillantes mélodies ne rendait que plus crédible ce salon doré, le bien nommé, affublé en improbable Eldorado architectural et musical.

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Majesté, fioritures, effluves et langueur furent au programme de la Deuxième Récréation de Musique de Jean-Marie Leclair, même si la Forlane fit légèrement dévisser la justesse de la flûte, obligeant le maestro Andrieu à réajuster son indocile instrument.

L’aréopage qui m’accompagnait, en applaudissant chaleureusement ce spectacle rêvé, ne s’y est pas trompé. Durant ce sommeil enchanté, je fus tour à tour et tout autant Louis XIV et Louis XV, alors que je n’étais que moi-même, Pierre B***, citoyen français de la jeune République d’Argentine, mais une chose est sûre : les musiciens de la Chambre du Roy avaient eux, effectivement, au moins une fois, joué pour moi et pour moi seul.

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