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Histoire(s) de soldat(s) à Caen

COMPTE-RENDU / FICTION de voyageuse qui débarque… au théâtre de Caen et assiste à un programme intitulé Histoire du soldat réunissant Igor Stravinsky et Martin Matalon sous la baguette de Jean Deroyer et dans une mise en scène de Benjamin Lazar. 

Invitation 

« En 2024, la Normandie honorera la mémoire de ces évènements et de ces hommes et femmes venus du monde entier pour nous libérer. En tant que descendante de l’un de ces héros, vous êtes cordialement invitée aux célébrations du 80ème anniversaire du D-Day ». Telle est (ou à peu près) l’invitation surprenante que je reçus…

Surprise, j’étais prête à l’envoyer au diable, puis, après réflexion, par devoir de mémoire, étant aussi une fervente militante de la paix, je me suis dit : pourquoi ne pas y aller ? Je connais la France, Paris avec sa Tour Eiffel, Montmartre, on en parle beaucoup en ce moment avec les JO, même ici à New York. Mais Caen, aucune idée. La France, ce n’est pas si grand alors on verra sur place. C’est ainsi qu’après avoir voyagé, beaucoup voyagé, je me retrouve en Normandie où je visite les lieux emblématiques du D-Day : Omaha Beach, le cimetière militaire de Colleville-sur-Mer où repose mon grand-père. Je ne l’ai jamais connu. Parti à 24 ans, alors tout jeune papa, il n’est jamais revenu. Lilly, ma mère a continué sans lui et a toujours évité le sujet. 

Un soir, durant mon séjour, je décide d’aller au théâtre de la ville. On y joue Histoire du soldat d’Igor Stravinsky. Ce compositeur est célèbre aux Etats-Unis puisqu’il y trouva refuge (après la Suisse où il composa cette œuvre). Je parle suffisamment bien le français pour suivre l’intrigue. Et moi-même violoniste, j’ai eu l’occasion de jouer l’œuvre lors d’un spectacle de fin d’année donné sur le campus de mon Université. 

© Jean-Louis Fernandez
Mais que diable allais-je faire dans cette galère ? 

Bien installée, j’observe le public venu nombreux : beaucoup de jeunes, des lycéens accompagnés de leurs professeurs, fébriles, impatients, des habitués du lieu qui papotent de tout et de rien mais nullement du spectacle qu’ils vont voir. 

Pas de rideau de scène, le plateau est divisé en deux : côté Jardin, l’emplacement des musiciens, côté Cour, une sorte de tréteau mobile comme le souhaitaient le compositeur Stravinsky et l’écrivain Ramuz, un théâtre itinérant afin d’être donné aisément dans différents lieux. 

Les premières notes me déconcertent : Quelle est donc cette œuvre aux sonorités étranges, sans lien apparent avec l’œuvre attendue ? Me serais-je trompée de jour ? Et pourtant, en prêtant bien l’oreille, je reconnais des bribes de la partition, notamment dans la partie confiée au violon. L’écriture qu’on pourrait qualifier d’exercice de style « à la manière de… », est construite sur des pulsions, des motifs, des bruissements, des effets sonores qui viennent en écho à la musique de Stravinsky. L’instrumentarium est aussi le même (violon, contrebasse, clarinette, basson, trompette, trombone, percussions). 

Il s’agit d’un prologue imaginé par le metteur en scène Benjamin Lazar avec Adeline Caron aux décors et costumes, et mis en musique par Martin Matalon, un compositeur argentin en résidence avec l’Orchestre Régional de Normandie (qui, m’a-t-on dit et ai-je lu sur “Ôlyrix” avait également proposé l’an passé une intéressante création écrite pour la maîtrise de Caen autour de l’œuvre de Kurt Weill « celui qui dit oui, celui qui dit non »).

À Lire également : Celui qui dit oui ‒ Celui qui dit non, doublement Maîtrisé à Caen

Si je comprends bien le texte déclamé par une jeune femme, cela se passe dans le futur. Cette jeune femme part sur les traces de son père : quelle étrange coïncidence ! Elle possède peu d’informations sur lui et sait juste qu’il a été soldat dans les années 2020 et qu’il a sauvé la vie d’une princesse… Elle se rend chez un medium avec des objets de son père : une cartouche, le portrait d’une jeune femme, un livre, une montre arrêtée, un téléphone, une médaille de Saint-Joseph (le prénom de son père), un miroir, afin de tenter d’éclaircir ce mystère. Elle aussi se questionne sur la mémoire familiale et la difficulté de transmettre le passé. Je suis troublée. Au cours d’une séance publique, le medium, qui tire les ficelles de ce prologue, sonde sa mémoire avec un appareil qui permet de faire apparaître sur un écran des images, faire revivre les histoires et les personnes enfouies dans sa mémoire.

Hypnotisée, en transe, comme si elle avait le diable au corps, elle se met à marcher tel un petit soldat, aux ordres du medium ! Le lien est fait avec la seconde partie du programme, l’œuvre de Stravinsky et Ramuz. Je comprends alors l’intérêt de ce prologue pour une approche compréhensible et contemporaine de l’œuvre. Tout au long du spectacle, la vidéo (conçue par Yann Chapotel) restera présente dans le dispositif scénique avec des images toujours appropriées à la narration. Les lumières aideront aussi à la compréhension : rouge pour le diable, doré lorsque le soldat devient riche grâce au livre capable de lire l’avenir, rose pour la princesse, verte lors des scènes champêtres. 

La princesse, avocate du diable ?

Dans cette Histoire du soldat, Ramuz a imaginé quatre personnages : le lecteur (ou narrateur), le soldat, le diable et la princesse. Cette dernière ne parle pas : elle est malade et personne n’arrive à la guérir. Au son du violon joué par le soldat, elle va danser, puis guérie, partir avec lui. Benjamin Lazar retourne la situation : la Princesse est la narratrice. C’est elle qui raconte l’histoire parce qu’elle en est le témoin et peut-être veut-elle en inverser le destin, sauver à tout prix le soldat des griffes du Diable et remettre en question la guerre, les guerres. En vain, on ne peut pas lutter contre Satan ou la face noire de l’être humain. 

Une interprétation qui n’est pas à la diable

La mise en scène ne se limite pas à une lecture mais fait aussi appel au théâtre, au mime, à la danse. La direction d’acteurs est précise et parfaitement réglée. 

La jeune femme du prologue, la narratrice et la princesse sont interprétées par Taya Skorokhodova. Artiste complète (chorégraphe du spectacle), sa prestation est aisée aussi bien au niveau de l’élocution, de la gestique, que de la danse. Le rôle du soldat est confié à Maurin Ollès. Il campe un soldat dans l’esprit du conte initial : candide, influençable, désespéré, prêt à en découdre avec le diable, amoureux et éternellement insatisfait. Enfin, Pierre Maillet est le medium puis le diable. Ce dernier prend tout d’abord l’apparence d’un randonneur en costume traditionnel tyrolien, comme un clin d’œil à la Suisse et ses alpages où fut composé l’opus en 1917. Chacune de ses apparitions est annoncée par une lumière intense, symbolisant les flammes de l’Enfer. Multipliant les déguisements, il porte toujours un détail vestimentaire rouge. Modulant le timbre de sa voix, il exploite différents registres tour à tour séducteur, moqueur, persuasif, colérique.

Les musiciens de l’Orchestre Régional de Normandie dirigés par Jean Deroyer s’en donnent à cœur joie : leur maîtrise impeccable de la partition offre au conte la légèreté nécessaire pour ne pas faire sombrer cette parabole faustienne dans la noirceur. Ils gardent l’esprit voulu par les auteurs : celui des petits ensembles forains et des fanfares. Ils interprètent également avec dextérité la partition plus bruitiste de Martin Matalon.

Une chose est certaine, ils ne débarquent pas de nulle part…

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