DISQUE – Déjanire, opéra de Camille Saint-Saëns est enregistré pour la première fois et paraît dans la collection « opéra français » du label de la fondation Palazzetto Bru Zane. L’orchestre philharmonique de Monte-Carlo est dirigé par son directeur musical Kazuki Yamada. Kate Aldrich, Julien Dran, Anaïs Constans, Jérôme Boutillier et Anna Dowsley assurent les rôles solistes.
La fondation Bru Zane s’attache à faire revire les chefs d’œuvres oubliés ou méconnus du romantisme musical français. Elle s’intéresse plus particulièrement depuis 2014 aux opéras de Saint-Saëns qui avaient jusqu’à présent peu traversé les époques, en dehors de Samson et Dalila. Après le Timbre d’Argent, les Barbares, la Princesse Jaune, Phryné et Proserpine, c’est au tour de Déjanire de connaître sa gravure. L’oubli par l’Histoire de cet opéra est d’autant plus dommage que contrairement à d’autres opus de la collection, Déjanire connut un réel succès à sa création, y compris à l’étranger. Celui-ci fut surtout interrompu par la première guerre mondiale et l’effacement du romantisme au profit de la modernité.
Home, sweet home
Pour son premier enregistrement, Déjanire retrouve la principauté de Monaco qui avait déjà vu sa toute première représentation en 1911. La captation s’est faite à l’auditorium Rainier III, jouée par les musiciens dont les lointains prédécesseurs interprétèrent la création de l’œuvre. Saint-Saëns choisit pour son dernier opéra de revenir aux sources en s’inscrivant dans l’héritage national de la Tragédie Lyrique, façon Ancien Régime. Mais en dehors de son sujet mythologique et de quelques aspects dans l’écriture limpide et épurée des chœurs et des lignes vocales, Déjanire se situe tout de même très loin du Gluckisme et encore plus du Lullisme. Adaptée directement du drame de Louis Gallet et de la musique de scène que Saint-Saëns avait déjà composé à sa création, le nouvel opéra condense en quatre actes resserrés sur moins de deux heures, le propre héritage du compositeur. Il y cite d’ailleurs sa Jeunesse d’Hercule et certains codes de son plus fameux opéra Samson et Dalila.
Concernant la présente interprétation, l’articulation des pupitres révèle les riches et chatoyants détails de la partition, tout en restant au plus près du drame. Les effets sont apposés avec précision sur les mots du livret avec lesquels ils entrent en harmonie. L’orchestre est délicatement poétique, dans l’intimité de l’accompagnement de Iole se recueillant au début de l’acte 2 ou au contraire puissamment sévère quand Hercule découvre la relation entre Iole et Philoctète. Les tempi sont vifs et dynamisent le rendu. Les deux CDs s’écoutent ainsi très bien d’une traite, sans voir le temps passer.
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Voix de la maison
Le chœur se situe dans la même veine. L’unité est constante, ainsi que la justesse des différentes sections. Le chœur est polyvalent dans ses intentions et transmet aussi bien la fatalité implacable des Héraclides que les échos angéliques des Oeuchaliennes. La synergie avec l’orchestre marche à merveille.
- Julien Dran est un Hercule lyrique dans la mélodie. Il accentue son phrasé en cohérence avec le texte mais manque cependant parfois de fermeté.
- La tendresse d’Iole transparaît dans la voix d’Anaïs Constans qui se retrouve à son meilleur dans les moments plus intimes où le personnage exprime son intériorité. Elle se singularise efficacement dans ses passages avec les chœurs et leur confère ainsi du relief. Certains effets sont par contre superflus, en particulier lors de son entrée où la déclamation manque de simplicité.
- Kate Aldrich vit avec engagement les passions de Déjanire. Certaines poussées nuisent cependant à la pureté du chant et acidifient les aigus. La diction des voyelles est perfectible en particulier les [u], les [ou] voire les [i] qui se retrouvent souvent indistinctement mélangés.
- Anna Dowsley présente un timbre généreux. Elle se montre particulièrement à l’aise dans les graves tantôts chauds tantôt d’un mordant accrocheur mais révèle aussi sa finesse dans les aigus. Attentive aux didascalies, l’exaltation est par exemple réellement exprimée dans son chant suite à son dialogue avec Hercule à l’acte 1.
- Le baryton Jérôme Boutillier est irréprochable dans la diction. La voix de son Philoctète est claire et pleine.
C’est pour qui ?
- Ceux qui aiment la lecture ! En plus du livret intégral, l’ouvrage contient entre autres une revue de presse de l’époque, le point de vue de Gabriel Fauré sur la première et des textes inédits de chercheurs de la fondation. Les sections sont aérées et l’écriture est parsemée d’images d’époque.
- Les pies qui aiment le doré mais ne peuvent s’offrir du Cartier ou une rolex. Quasiment un véritable bijou, la couverture est décorée de détails dorés au niveau du titre et de son vase d’inspiration antique représentant un centaure (probablement Nessos cité dans l’œuvre) et une femme (Déjanire).
- Les fans de Samson et Dalila qui ne manqueront pas de faire quelques rapprochements avec leur opéra fétiche. La colère de la femme éconduite cause dans les deux cas (certes involontairement pour Déjanire) la perte du puissant et invincible héros. Le rapport de ce dernier au divin lie aussi Hercule et Samson. Cristallisé ultimement dans la mort, il se manifeste par la transfiguration pour l’un et la destruction des païens pour l’autre.
- Ceux qui pensent que c’est toujours l’héroïne qui meurt. Pour une fois c’est le mari !
Pourquoi on aime ?
- Parce qu’on apprend pleins de chose qu’on soit novice ou féru d’opéra
- Pour la finesse et les qualités dramatiques de l’orchestre philharmonique et du chœur de l’opéra de Monte-Carlo qui rendent grâce une nouvelle fois au génie du dernier opus lyrique de Saint-Saëns.
- Parce que l’enregistrement prouve que l’œuvre mérite amplement de recouvrer la reconnaissance de ses débuts.