AccueilA la UneRécit d'un vieux fantôme hanté par La Bohème à Saint-Etienne

Récit d’un vieux fantôme hanté par La Bohème à Saint-Etienne

COMPTE-RENDU – Depuis des siècles, je hante les recoins obscurs de ce vieux théâtre, je frôle ces planches poussiéreuses sur lesquelles j’ai vu tant de drames humains se jouer. Je viens d’être le témoin silencieux d’une émouvante Bohème stéphanoise, dont mon petit cœur de fantôme peine à se remettre.

Là, au milieu des échafaudages techniques, des châssis, et des pots de peintures, des jeunes artistes, fauchés et rêveurs, sont venus chercher refuge, et j’ai assisté, impuissant et bouleversé, à leur tragédie.

© Cyrille Cauvet
On était jeunes, on était fous 

Ah, ces jeunes artistes ! Qu’ils étaient animés de joie et d’espoirs, malgré leurs ventres creux. Marcel passait alors ses nuits à peindre les décors de théâtre. Il a invité ses amis à venir se réchauffer joyeusement sur scène, dans cette froide nuit. Les quatre amis ont enchanté le plateau vide, de leurs rires et de leur camaraderie, feignant de boire de grands vins en empoignant comme des verres des bougies de cire qui trainaient en coulisses, ou de servir des petits fours (imaginaires) sur des palettes de peinture.

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Que de frissons quand j’ai été subitement réveillé par un feu, que ces jeunes insouciants avaient allumé dans l’ancien trou du souffleur ! J’ai craint pour la sécurité de ce vieux théâtre, avant d’être touché de voir que Rodolphe était prêt à brûler son manuscrit pour un peu de chaleur…

Fallait-il que l’on s’aime et qu’on aime la vie 

Mes yeux fatigués mais toujours avides d’émotions ont vu naître l’histoire d’amour entre Rodolfo et Mimi, et leur premier baiser sur l’échafaudage du décor encore en cours de construction. Rodolfo s’évertuait à rendre le sourire à Mimi, en s’improvisant régisseur lumière pour réchauffer l’ambiance grâce aux projecteurs qu’il allumait depuis la console lumière mobile qui trainait au plateau.

 « Si on jouait… à faire comme si tout allait bien ? ». Après tout, dans un théâtre, tout est possible, c’est le lieu idéal pour imaginer une vie meilleure, mais le vieux fantôme que je suis n’est pas dupe… il se trame une tragédie, c’est la puissance de la musique de Puccini, qui me le souffle à l’oreille.

Montmartre semble triste et les lilas sont morts

Le froid s’est fait de plus en plus mordant dehors, et il a même neigé sur scène. Notre pauvre Mimi a pris froid. Elle a d’ailleurs avalé de la neige par mégarde… je vous l’avais dit mes enfants nous ne sommes qu’au théâtre, la neige ne fond pas sous la langue, de même que les maladies ne se soignent pas toujours… J’ai versé ma première larme quand Mimi et Rodolfo se sont promis de se quitter au printemps.

Mimi est tombée malade. Là, les amis ne jouaient plus. Ils ne pouvaient plus faire semblant que tout allait bien. C’est bien impuissant que j’ai vu un autre fantôme apparaître – celui de la mort. Nous étions tous là, artistes, techniciens, spectateurs, passants, et fantômes du passé, témoins impuissants du drame se déroulant sous nos yeux. La lumière s’est même rallumée au-dessus des spectateurs, pour les inclure véritablement à l’intensité des émotions que nous vivions sur scène.
Mimi est morte, et dans le théâtre vide, le rideau tombe lourdement.  

Et nous avions tous du génie

Mon théâtre depuis toujours est un sanctuaire de rêves et de désespoirs, et Eric Ruf en créateur de magie a su toucher mon âme de fantôme par sa mise en scène, en faisant de cette Bohème un véritable hommage rendu au Théâtre, dans toute sa dimension de transcendance des émotions humaines. Eric Ruf nous offre un bain de réalité, en peignant sur scène la diversité de tous les sentiments humains. La scénographie nous envoie dans les années 1830, mais Rodolfo, Marcello, et leurs amis, c’est nous, de manière intemporelle. Ils ressentent de la joie, de l’amour, le rire, la fraternité, la douleur, la mort. Ce sont de « vrais » gens. L’émotion nous prend à la gorge car cette Bohème parle de nous, êtres humains, dans toute la complexité de nos émotions. Au moment où Mimi meurt, le rideau se lève sur l’ensemble des artistes du chœur, comme pour nous dire que ce qui se passe pour Mimi et Rodolfo fait écho en chacun d’entre nous, nous sommes tous concernés par cette histoire, et impuissants. Eric Ruf, en homme de théâtre averti, nous offre avec intelligence le spectacle du théâtre dans le théâtre, quand réalité et fiction se mélangent, car tout devient possible. Ne dit-on pas d’ailleurs que le monde est une scène ? On adore aussi quand tous les éléments techniques que sont les décors, les lumières, les costumes, sont loin d’être simplement « décoratifs » et servent à chaque instant le propos dramaturgique. Les clins d’œil à l’univers des coulisses sont nombreux, et les machinistes de l’Opéra de Saint-Etienne deviennent eux-mêmes complices des amours de Rodolfo et Mimi en entrant sur scène pour installer le café Momus qui n’existe sûrement que dans l’imagination débordante de Rodolfo, car à quel moment vraiment arrête-t-on de faire semblant dans cette pièce ?

Gabrielle Philiponet a été une Mimi vibrante d’émotion, j’ai été bouleversé par son « je m’appelle Mimi » du premier acte, une fragilité complètement maîtrisée, des aigus larges et des graves sonores. Le Rodolfo de Matteo Desole était tout aussi poignant, une voix chaude et ronde, toute en nuances, il m’a fendu le cœur à l’acte 3 quand il explique à Marcello que Mimi est condamnée.   

Perrine Madœuf a campé une Musetta hypnotisante, aussi bonne chanteuse que comédienne, avec des aigus d’une éclatante légèreté. Andrea Vincenzo Bonsignore fut un Marcello solide avec un très beau timbre. La voix chaude de basse de Guilhem Worms (Colline) est un coup de cœur, particulièrement dans le « Vecchia zimarra » (Vieux manteau) de l’Acte IV. Matteo Loi a été également un merveilleux Schaunard, malicieux et dynamique. Matteo Peirone n’était pas en reste dans les rôles d’Alcindoro et Benoit, où son potentiel comique et ses talents d’acteurs, en plus d’une vibrante voix de basse, en font un protagoniste incontournable. Mentionnons aussi le Parpignol d’Artiom Kasparian, haut en couleurs et à la voix bien présente, et les interventions solides de Laurent Pouliaude (le douanier), Frédéric Foggieri (le sergent), et Isaias Soares da Cunha (le vendeur).  

Les figurants-serveurs du café Momus ont quant à eux rythmé la scène avec grâce et dynamisme pendant tout le deuxième acte.

Les émotions évoquées par la musique sous la baguette de Giuseppe Grazioli allaient de pair avec la mise en scène d’Éric Ruf. Le paroxysme de la mort de Mimi, en particulier, a été d’une intensité lyrique dévastatrice, et j’ai aperçu le fantôme de Puccini planer au-dessus de la fosse, se délectant que sa musique traverse les âges avec autant d’universalité.

Les artistes du chœur ont également brillé par leur performance, offrant des scènes collectives dynamiques et vibrantes, accompagnés par les enfants de la maîtrise, émouvants et précis.

Les costumes de Christian Lacroix et les lumières signées Bertrand Couderc ont également joué un rôle essentiel, servant parfaitement le propos et l’émotion de chaque scène, apportant tour à tour magie, chaleur ou sensation de glaciation infinie. 

Ça voulait dire, on est heureux

Ces émotions si fortes me rappellent à moi, vieux fantôme du théâtre, pourquoi l’opéra continue de toucher l’âme humaine.

Je retourne à mon éternelle errance, le cœur réchauffé d’avoir été l’accompagnateur discret de mes jeunes amis. Que l’Opéra de Saint-Etienne continue d’abriter des rêves, des amours, et des tragédies pour les siècles à venir !

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