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Roméo et Juliette : amoureuses au nouveau regard

OPÉRA – Dans l’Est, les visions féminines sur leurs alter-ego fictives ont une place. Après la Norma de Bellini version Marie-Ève Signeyrole à Strasbourg, c’est Pınar Karabulut qui présente ses Capuleti et Montecchi de Bellini à Nancy. Un Roméo et Juliette 2.0 qui a de quoi faire causer. On vous explique.

Pinar Karabulut. En voilà une qui s’est fait un nom ces dernières années, avec trois axes signatures : 

  • Choix de couleurs et de lumières explosives, 
  • Regard acéré sur notre monde, 
  • Travail sur la perception des grandes héroïnes féminines. 

Sa vision d’I Capuleti e i Montecchi, opéra qu’on vient généralement entendre pour se régaler de vocalises et des sortilèges de l’univers du bel canto, s’inscrit résolument dans de ces options esthétiques, même si on a du mal à comprendre/adhérer à certains choix. On ne s’arrêtera pas trop longtemps sur le symbolisme assez facile des couleurs, qui permet de distinguer très rapidement le bleu sombre que l’on associera aux Capulet, couleur supposée inspirer le sentiment de paix, de tranquillité et de sérénité auquel semble aspirer cette famille vue ici comme bourgeoise et rangée, du rouge bouillonnant et passionné des trublions Montaigu, qui sera vers la fin de l’opéra mélangé au noir de la mort. 

© Jean-Louis Fernandez
This is a man’s world

L’idée centrale de la production est de transposer en plein Far West l’univers de la Renaissance italienne, censé être le siège des amours de Roméo et Juliette. Ok ! On fait avec les cactus, les chardons, les chapeaux de cow-boy et autres chevaux de course qui constituent le décor. On acceptera sans broncher le jeu avec les genres. Le postulat c’est ici de dire que dans les deux (opéra et western) les hommes font la loi. Capellio et Tebaldo décident des choix matrimoniaux de Juliette et Lorenzo décide à lui seul du stratagème destiné à sauver la jeune femme, pour finalement la conduire dans la mort. La décision de ne pas maquiller en homme l’interprète féminine de Roméo est également une manière de redessiner et de donner une nouvelle orientation à ces schémas machistes fondamentaux. 

© Jean-Louis Fernandez

Sur le papier, le mythe de Roméo et Juliette n’est finalement rien d’autre que la sempiternelle histoire de deux ados aux prises avec un vieux monde dont ils ne partagent ni les valeurs, ni les conventions. Fallait-il pour autant créer des costumes aussi décalés, n’appartenant à aucune culture et à aucune tradition ? On pourra sourciller également devant l’espèce de soucoupe volante où se réfugie Juliette pour son air du premier acte, lieu dont on croit comprendre qu’il matérialise la quête d’un espace privé intérieur, tout en préfigurant le tombeau du dernier tableau ? À ce moment-là, la vision de Juliette, debout pendant que Roméo se désole sur ce qu’il croit être la mort de sa bienaimée, crée un moment d’une exceptionnelle intensité émotionnelle. 

À ces instants, qui mettent en exergue les vieilles recettes d’un genre musical à déconstruire et à revisiter, succèdent des moments proprement bouleversants, comme par exemple celui où, pendant le duo Roméo / Juliette du premier acte, le temps semble littéralement suspendu lorsque Roméo s’affaisse, comprenant que Juliette, prisonnière des valeurs et des codes dans lesquelles elle a été élevée, ne le suivra pas. Rares instants où la vérité et la magie du chant sont véritablement soutenues par l’impression visuelle créée et voulue par la mise en scène. En somme,  cette vision est une succession de beaux moments et de tableaux parfois décalés et incompréhensibles.

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L’avenir de l’Opéra

Comme d’habitude à l’opéra, c’est finalement du chant que provient essentiellement l’émotion. L’Opéra national de Lorraine a ainsi eu la chance de réunir deux interprètes féminines vraiment au top. 

  • La Canadienne Julie Boulianne a ainsi toutes les qualités pour être un Roméo exceptionnel. Son mezzo long et homogène sur toute l’étendue de la voix, la perfection de sa diction, la beauté naturelle du timbre, la puissance dont elle est capable et son aisance dans la vocalise font d’elle une des titulaires du rôle sur laquelle il faudra désormais compter. 
  • Annoncée souffrante, la Chilienne Yaritza Véliz fait montre des mêmes qualités vocales, et l’on est subjugué par la qualité et la musicalité de ses phrasés, la pureté cristalline de ses aigus et l’impalpable émotion dont elle sait parer chaque note de son chant. Une très belle découverte, dont l’Opéra national de Lorraine peut être fier. 
  • Les messieurs, à côté de ces deux têtes d’affiche, font plutôt pâle figure, même si le Tebaldo de David Astorga fait ce qu’il peut pour se montrer à la hauteur. Authentique ténor rossinien, il a la quinte aiguë nécessaire pour ce rôle mais le timbre est souvent sec et la gestion des phrasés parfois problématique. 
  • Des deux basses, on préfèrera le Lorenzo presque juvénile de Manuel Fuentes au Capellio plus mûr de Donnie Ray Albert. Le premier possède une voix riche et caverneuse, dont il use sans grande imagination ; le deuxième chante et joue avec autorité, mais n’a pas les qualités de timbre qu’on attend de son personnage, lequel il est vrai n’a pas grand-chose à chanter. 
© Jean-Louis Fernandez

Le chœur de l’Opéra national de Lorraine, très sollicité dans cette mise en scène, chante avec bonheur et conviction une partition qui ne comprend pas de grande difficulté, mais dont il s’acquitte à la perfection. Spécialiste du répertoire de bel canto, le chef d’orchestre Ramón Tabar veille à la coordination entre la fosse et le plateau, au soutien indéfectible aux chanteurs, et à la qualité des soli instrumentaux (violoncelle, cor, clarinette…) qui auront régalé les oreilles du public tout au long de la représentation. 

Accueil enthousiaste à l’issue du spectacle, même si les applaudissements étaient un peu moins nourris à l’arrivée de l’équipe de mise en scène. Mais bon, ça on a l’habitude…

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