DANSE – Barbe-Bleue de Pina Bausch, c’est la nouvelle entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, parfaitement émoustillante entre tradition et modernité: un conte de Perrault, sombre et plastique dans ses interprétations, une chorégraphe du panthéon contemporain de la chair, du trouble et des pulsions et des danseurs auxquels il est proposé de s’aventurer loin de leurs bases classiques, là où le mouvement devient primitif, grommellement et hurlement.
Sur le papier, tout cela était prometteur. Mais comme toute belle idée, la difficulté est à la mise en œuvre, car il est une réalité dont nul ne saurait se défaire : le contemporain – surtout dans la version de Barbe-Bleue conceptualo-intello proposée par Pina Bausch – ne supporte rien de moins que la perfection.
Less is more ?
En effet, quand la chorégraphie contemporaine donne à voir un ballet dépouillé de ses ornements classiques, de ses codes et de son spectaculaire factice, quand elle ôte au spectateur toute distraction sur scène, celui-ci en échange s’attend à vivre une expérience plus intense, plus immédiate, plus viscérale, peut-être même plus “vraie” en coeur à coeur avec les danseurs. Or dans Barbe-Bleue, cette substantifique moelle de la danse n’est jamais vraiment aperçue. Peut-être est-ce parce que les danseurs passent plus de temps à courir sur scène qu’à vraiment danser. Peut-être est-ce parce que lorsqu’ils dansent enfin, les danseurs le font par à coup, où les gestes peinent à jaillir et à prendre de l’ampleur. Peut-être aussi est-ce parce que leurs émotions passent du trouble le plus profond à une curieuse exaltation feinte, parfois en l’espace d’un instant, et qu’in fine il nous perd l’envie de les vivre avec eux.
Less is less
Peut-être est-ce également parce que, en organisant son ballet autour du silence, Pina Bausch l’a modelé pour une audience idéale. Barbe-Bleue interrompt et rejoue compulsivement l’opéra de Béla Bartok sur un magnétophone, ménageant des espaces dans lesquels se déploient les halètements des danseurs, leurs cris, quelques paroles et quelques borborygmes. Si cette composition doit donner un souffle sauvage et exalté au ballet, dans le monde réel, elle donne aussi malencontreusement à entendre les commentaires des spectateurs. Du pointu “c’est un psychopathe” lâché par un voisin face au rembobinage compulsif de Barbe-Bleue, au “tiens donc v’la autre chose” soupiré à l’entrée d’un danseur, oreiller dans les bras, hurlant, tête révulsée, aux reproches persifleurs adressés par une voisine. La guerre des sexes se joue dans la salle et sur scène. Et parfois, on s’ennuie moins en écoutant la première qu’en regardant la seconde.
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Laisse béton
Barbe-Bleue, c’est l’entrée idéale au répertoire qui souffre d’un atterrissage un peu rude dans la réalité. Parfois, les intentions de la chorégraphe, et la lecture critique qui a pu en être faite débordent tout simplement les mouvements des danseurs. On en attend trop et plus qu’il est humainement possible de produire. Certes il y a des moments d’une belle étrangeté, comme ces danseuses suspendues autour du plateau comme des trophées de chasse, certes parfois l’atmosphère décolle et enrobe le spectateur, dans les rires hystériques incessants des femmes de Barbe-bleue, mais souvent tout reste trop tiède. L’éclairage est trop cru, les jeux de polochon simplement superflus, et même si les motifs répétitifs sont là pour oppresser et rappeler le caractère obsessionnel de Barbe-Bleue, il faut être franc: au bout de deux heures ils lassent.