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Spectres d’Europe, ou les trois temps de la danse à l’Opéra national du Rhin

DANSE – Le ballet de l’Opéra national du Rhin présente à Strasbourg, après Colmar et Mulhouse, la 5ème édition de ses dialogues chorégraphiques « Spectres d’Europe », avec à l’honneur, les créations de trois jeunes chorégraphes au style bien trempé : Sous les jupes de Pierre-Émile Lemieux-Venne, Rex de Lucas Valente, et la reprise de Poussière de terre d’Alba Castillo.

Spectres hauts en couleurs

Les spectres du temps présent se déclinent sous toutes les couleurs et sous toutes les coutures. Dans sa nouvelle création, le chorégraphe canadien Pierre-Émile Lemieux-Venne opte pour des décors et des costumes aux teintes vives qui peignent d’elles-mêmes la scène : fauteuil rouge, chaises bleues, étoffes suspendues ocres, vertes, jusqu’aux coloris unis des jupes, pantalons, robes et chemises des danseurs qui forment la colorimétrie de l’arc en ciel. En duo ou en ensemble, les danseurs constituent une troupe de jeunes amis qui se rencontrent, se séparent et font la fête au son de Céline Dion ou encore de « Am Tag, als Conny Kramer starb » de Juliane Werding. La musique génère l’action et les mouvements : les danseurs se meuvent à son écoute, miment les paroles des chansons, suivent son rythme ou le contredisent. Le cantabile du chanteur Andrea Bocelli est volontiers mis à distance par les pas et mouvements saccadés d’un couple déchiré tandis que sept danseuses bondissent et secouent leur cheveux au rythme du groupe de rock Muse. Alternant déhanchés et pantomimes de clichés photographiques, la troupe de ballet allie énergie et jeu d’acteurs dans une tonalité vintage et nostalgique. C’est que, même sous les projecteurs, la jeunesse est courte et qu’il faut tout faire pour la préserver. 

Ombres et lumières spectrales

L’ombre de la fatalité finit par fondre sur l’innocent : un danseur, seul sur la scène et éclairé par quatre projecteurs, se traîne par terre, en proie à la souffrance. Dans Rex, Lucas Valente convoque les esprits du mythe d’Œdipe selon la tragédie de Sophocle. Les tombés et relevés souples des danseurs rappellent le style de Pina Bausch, tout comme les rondes rituelles formées autour d’Œdipe. Munis de lampes torches durant leurs déplacements et leurs figures, les danseurs révèlent leurs propres ombres sur l’arrière de la scène entièrement plongée dans l’obscurité. Grâce à la précision des gestes et des jeux de lumières, le parricide perpétré par Œdipe se joue virtuellement, sur une toile blanche au fond de la scène. En conclusion, braquant leurs lumières aveuglantes sur le public, les danseurs déclament des vers d’Œdipe roi de Sophocle et réclament la vérité.

Poussière d’or ou la métaphysique du temps qui passe

Nimbé d’une lumière chaude et dorée, un filet ininterrompu de sable s’écoule d’un sac suspendu. Dans ce hors-temps originel créé par Alba Castillo, les solos excellent dans la lenteur et l’amplitude du geste. Les corps glissent sur le sol, avancent à quatre pattes et prennent la couleur du sable disséminé sur toute la scène. Avec une rigueur mécanique, les danseurs vêtus de justaucorps couleur chair rassemblent la poussière à l’aide de leurs vêtements, et forment peu à peu un collectif organisé capable de modeler ce temps qui file entre les doigts. 

Synthèse de ces temps, présents, mythiques, et à venir, le triptyque de cette nouvelle édition des « Spectres d’Europe » a certainement réveillé les esprits à l’Opéra national du Rhin : la salle comble et multi-générationnelle acclame longuement les jeunes talents.

À Lire également : Spectres – triple recherche du temps perdu
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