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Les Nocturnes de Solliès-Pont : chasser les fantômes

FESTIVAL – Le Festival de musique classique de Solliès-Pont, à quelques vols de chauve-souris de Toulon, se relève de la nuit glacée du Covid, avec l’aide de l’Opéra de Toulon et d’une équipe soudée autour de la figure enchantée d’Olga Jegunova, à la baguette triple de virtuose, de manager et de médiatrice.

En madame loyale à l’accent chantant, la pianiste lettone annonce l’esprit du concert, le premier du festival, respectueux, avant tout, des partitions : fils soyeux qui relient les interprètes aux compositeurs. Elle souligne le dynamisme de son équipe qui a permis de ressusciter un festival désormais rebaptisé Les Nocturnes, situé dans un cadre enchanté : le château Forbin. Une chauve-souris, dès les premières notes, virevolte au-dessus d’un piano de concert Bechstein, grande boîte noire ouverte sur le mystère de la nuit.

L’autre esprit, qui rôde sur la scène, est celui de la musique de chambre, entre trois partenaires dont le temps de jeu semble millimétré comme un temps de parole par gros temps d’élection : le violoniste Brieuc Vourch et violoncelliste Éric Courrèges. Les trois partenaires prennent également le micro, pour annoncer, tour à tour, le programme. La démocratie en musique est sauve ! Selon Olga, il s’agit de « trouver sur scène, ce soir, des compromis créatifs, une écoute mutuelle… et de donner un espace à chacun, sous la direction du compositeur… »

© Serge Allègre – Mairie de Solliès-Pont
Chanter seul dans la nuit

S’il est un genre solitaire et intime, qui ouvre l’oreille à l’intériorité de la nuit, c’est bien le Nocturne, chez Chopin, dans la tonalité ombrée d’ébène de do dièze mineur. La pianiste amarre solidement le pouls régulier mais tendu du déroulé de l’œuvre à sa dynamique inquiète. Sur la rythmicité fine, se pose un cantando intense, à mille lieux des caresses doucereuses qui parasitent souvent cette musique. Tout se donne pourtant dans la retenue, comme à l’abri d’un monde extérieur à la lumière fatale. Le résultat d’ensemble favorise la couleur sur le chant, la sensation plus que la signification.

Un autre moment dédié aux individus, tant pour le piano que le violoncelle, est la pièce Fantasiestücke de Schumann. Le violoncelle prend la couleur ocre des murs, dans la lumière du coucher de soleil. L’instrument chante à l’abri des regards, dans le creux du piano au prix de quelques micro-errements. Schumann est un amoureux, il l’est aussi des voix intermédiaires, distribution équilibrée au sein d’un couple égal. Ce qui n’empêche pas l’écriture et son interprétation de faire souffler, dans la nuit de l’âme et le chant de l’aube, l’inspiration, la lumière des intervalles ascendants qui chassent les vieux démons.

Dernière épée de lumière pour chasser la nuit, cette fois dévolue au violon incandescent. Il fiche son archet dans la nuit obscure des souvenirs, avec Les impressions d’enfance op. 28 pour violon d’Enesco. Énergie et sonorité tzigane magique, qui restitue l’écoute particulière qu’un compositeur peut avoir d’un folklore à la fois proche et lointain, esprit frappeur qui hante les campagnes roumaines. Aucune mélodie chez Enesco à laquelle accrocher un cœur en bandoulière, mais une ligne infiniment étirée, à la recherche de ses origines. La musique survient, crie, résonne et disparaît.

© Serge Allègre – Mairie de Solliès-Pont
Musique de chambre hantée

On a moins peur à plusieurs que tout seul. C’est pourquoi le folklore de Bartók s’écrit pour voix accompagnée. Violon et piano font leur pas de deux, pour conjurer le mauvais sort, avec les Six danses populaires roumaines, composées à même la terre battue des campagnes de l’Est. Les deux instrumentistes sont rassurés par le cadre et la carrure, les contrastes francs, le rythme organique, la virtuosité décomplexée, les harmoniques délicieusement sensibles de la suite de danse.

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Avec le Trio des esprits op. 70 n°1 de Beethoven, la chauve-souris plane à nouveau au-dessus du piano. Il semble que le compositeur lui-même ait été effrayé par l’écriture morbide – inspirée des sorcières de Macbeth – de son propre opus. Le violoncelliste, au micro, prie le public « de ne pas applaudir entre les mouvements pour ne pas réveiller les fantômes. » Les trois musiciens, pour nettoyer la partition de ses ondes négatives, démarrent au cordeau, soulignent le langage tonal d’un Beethoven tailleur de pierre. De petites gammes, faussement sages, permettent d’entrer dans les couloirs de la tonalité, hanté par des unissons et chromatismes qui font glacer d’effroi le sang du son. Heureusement, un volkgeist (esprit du peuple) rassurant, apporte le réconfort du matin des musiciens. Voyez-y le message que vous voulez… 

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