FESTIVAL – Dans le cadre de la 35ème édition du Festival Lyrique d’Aix-les-Bains, placée sous le signe de la « JOIE », Estelle Danvers, à la direction du festival pour la deuxième année consécutive, a fait un choix des plus audacieux : revisiter l’opérette viennoise de Franz Lehar, « La Veuve Joyeuse », avec une mise scène complètement loufoque à la sauce OSS 117 signée Jean-François Vinciguerra.
Festival lyrique d’Aix-les-bains : Késako ?
Depuis sa création 1989 par Pierre Sibyl, le Festival Lyrique d’Aix-les-Bains s’est imposé comme un rendez-vous incontournable de la ville pour les amateurs d’opéra et de musique lyrique. Cette année, quatre spectacles ont ravi les mélomanes, dont « La Veuve Joyeuse », à laquelle nous avons eu le privilège d’assister.
Le cadre du festival vaut à lui seul le déplacement : le Casino Grand Cercle, inauguré en 1850 par le Roi Victor-Emmanuel II de Savoie, témoigne de la grandeur de l’époque thermale. Sa somptueuse décoration, avec la voûte du hall décorée par Antonio Salviati, le promoteur de la renaissance de la mosaïque monumentale vénitienne et son magnifique théâtre à l’italienne de 830 places, inauguré en 1899, transportent les spectateurs dans un écrin somptueux. Seul bémol, l’acoustique du théâtre n’est malheureusement pas parfaite, ce qui peut parfois nuire à l’appréciation des spectacles lyriques.
Amour, Argent, Pouvoir : on connaît la chanson…
« La Veuve Joyeuse » est une opérette autrichienne pétillante et légère en trois actes de Franz Lehár créée en 1905 sur un livret de Victor Léon et Leo Stein. L’histoire réunit tous les ingrédients d’une recette à succès : une satire sociale piquante qui nous plonge dans la folie de la Belle époque.
Dans un salon cossu de l’ambassade de Marsovie, une réception somptueuse est donnée par l’ambassadeur, le baron Mirko Popoff en l’honneur de la nouvelle coqueluche de la haute société : Missia Palmieri, la belle veuve d’un riche banquier. Pour éviter que sa fortune quitte le pays, le baron a un plan : marier Missia à un compatriote marsovien le Comte Danilo Danilowitsch, un ancien soupirant de Missia. Ils se sont aimés mais Danilo par sa noblesse, l’avait autrefois dédaignée à cause de son origine modeste, elle la roturière. Mais voilà, l’argent a changé la donne et Missia est désormais la femme la plus riche du pays.
Quiproquos cocasses, déclarations enflammées et airs langoureux rythment cette opérette viennoise où les prétendants rivalisent d’ingéniosité pour conquérir le cœur de la belle veuve. Succombera-t-elle aux charmes de son ancien amant, le beau Danilo ? Danilo, tiraillé entre ses sentiments et ses principes, réussira-t-il à surmonter ses réticences et à avouer son amour à Missia ?
OSS 117 : y’a du monde aux Balkans
La mise en scène signé du baryton Jean-François Vinciguerra nous plonge dans un univers complètement loufoque et décalé à la sauce OSS 117. Dans une ambassade d’un pays des Balkans en ruine transformée en nid d’espions loufoques, des attachés militaires aux allures de barbouzes de pacotille et des agents secrets aux pistolets en plastique rivalisent d’ingéniosité pour séduire une riche héritière et mettre la main sur son pactole. Bienvenue en « Marsovie », un pays imaginaire, doté de son propre hymne officiel créé pour l’occasion avec la complicité de Didier Benetti et de ses réseaux sociaux : Instagram « marsovie_news_officiel » et Facebook « Marsovie News ».
Dès le lever du rideau, on se croirait dans une parodie de film d’espionnage. La musique de « Mission Impossible » nous plonge dans l’ambiance, nous invitant à éteindre nos portables pour mieux savourer la mission loufoque qui nous attend. Des films en noir et blanc projetés sur un fragment de rideau nous font découvrir l’arrivée des personnages dans l’ambassade, où la suspicion et la manipulation règnent en maître.
Highlights : nid d’espions
Les dialogues sont ciselés, truffés de réparties cinglantes et de jeux de mots remis au goût du jour, avec des gags qui s’enchaînent à un rythme effréné. On vous en a gardé quelques unes :
- L’ambassadeur qui découvre sa femme avec un amant…dans une cabine de plage
- La drague lourdingue de l’ambassadeur du Guatemala et sa parade nuptiale aborigène
- À peu près chaque plan foireux des espions qui échouent systématiquement
Pool Party & French cancan
Si l’acte I prend un peu de temps à s’installer, les actes suivants s’envolent, rythmés par des chorégraphies inventives d’Estelle Danvers. La pool party de l’acte II est particulièrement réussie, avec ses maillots de bain rétro et ses acrobaties aquatiques dans une piscine pailletée des plus réussies. Sans parler du final chez Maxim’s, où un French Cancan acrobatique interprété par quatre danseuses nous entraîne dans un tourbillon de plumes et de paillettes.
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Le casting :
Pour donner vie aux personnages hauts en couleur de « La Veuve Joyeuse », il fallait réunir un casting de chanteurs talentueux qui incarnent avec brio l’humour et la légèreté de cette opérette.
- La soprano Perrine Madoeuf s’en sort plutôt bien dans le rôle-titre. Sa voix agile, sa diction irréprochable et ses vocalises cristallines nous ensorcellent. Elle campe une femme fatale, loin du cliché de la veuve éplorée. Son accent légèrement russe et sa robe noire moulante de deuil lui confèrent un air de diva, digne d’une Callas moderne. Lorsque qu’elle entonne le célèbre « Heure exquise, qui nous grise », le ton est donné : cette veuve est irrésistible.
- Le baryton Régis Mengus est tout aussi remarquable dans le rôle du Comte Danilo, un noceur dandy qui aime les femmes mais les aiment mal. Son timbre grave et sa sensibilité profonde transpercent le cynisme affiché de ce dandy dilettante, plus attaché aux plaisirs de la vie qu’à sa fonction militaire. Dans l’univers décalé de cette ambassade d’un pays des Balkans en ruine, il campe un personnage irrésistiblement attachant malgré une certaine arrogance désabusée.
- Eve Coquart et Florian Laconi forment un couple adultère charmant. Eve Coquart, avec sa voix fruitée, incarne parfaitement Nadia Popoff, une ingénue qui trompe son mari suite à la cour assidue du beau Florian Laconi, dont le timbre clair aux aigus faciles séduit sans peine.
- Le metteur en scène et baryton Jean-François Vinciguerra endosse également le rôle de l’ambassadeur cocu, avec une interprétation désopilante.
En un mot :
Mettre en scène une opérette de 4 heures en une seule semaine : plutôt costaud ! Pourtant, l’équipe de production a joliment relevé le défi, malgré une salle dont l’acoustique n’est pas optimale. Le résultat est une opérette pétillante, véritable bijou d’humour loufoque et de fantaisie.