CONCERT – Le Festival de la Roque d’Anthéron nous gâte cette année ! Pour fêter l’année Fauré (100 ans de la disparition du compositeur), 6 artistes français se sont relayés pour jouer la musique de trois compositeurs français, sous la conque d’un festival international, mais français ! Une soirée diffusée sur France Musique, qui nous a inspiré une petite saynète…
Vous vous souvenez de Midnight in Paris, le volet français de la saga européenne de Woody Allen ? Entre les déboires amoureux d’Owen Wilson et les apparitions des acteurs frenchy, on retrouve une scène dans un café rêvé des années 50, qui réunit trois surréalistes : Salvador Dali, Luis Buñuel et Man Ray. Transposée à la musique française jouée au concert de la Roque, voilà ce que cette scène aurait pu donner :
Rôles principaux : Maurice (Ravel), Gabriel (Fauré), César (Franck)
Café des Arts, Paris, 6ème arrondissement. Maurice est à table, grattant quelques lignes de partition pour son Quatuor en fa. Visiblement, il galère… Entre Gabriel :
Ah ben Maurice, qu’est-ce que tu fais là ?
Ça se voit pas Gabriel ? Je galère…
Nan mais qu’est-ce que tu vas écrire un quatuor aussi toi ! Je te l’ai répété 100 fois en cours d’écriture : « c’est un genre que Beethoven a particulièrement illustré, ce qui fait que tous ceux qui ne sont pas Beethoven en ont la frousse… »
« …alors tu peux penser si j’ai peur à mon tour. » Ça va je connais la chanson. Mais moi je suis pas toi, tu vois. J’ai pas la frousse, je suis basque, tu te souviens ? Mais quand-même, j’ai envie d’un truc traditionnel quoi, un truc qui rassure les gens. Et puis j’ai un truc à leur montrer, les Valses Nobles et Sentimentales, mais je suis pas sûr qu’ils soient prêts. Même le pianiste qui doit les jouer il est pas hyper chaud…
Mais Maurice, fais pas la même erreur que moi bon Dieu ! J’ai passé ma vie à essayer de plaire aux parisiens. Tu sais combien de partitions j’ai dû brûler avant que ça marche pour moi ? Et tu sais quoi ? J’ai beau être le directeur de leur conservatoire, ils me regardent toujours comme un hurluberlu de province.
Oui mais toi, ton Quintette avec Piano il s’arrache dans les librairies… Moi mes chiffons, personne en veut… Alors je fais quoi ?
Reste toi-même.
César entre…
Salut les gars ! Alors, ça compose ?
Ben qu’est-ce que tu fais là César ? T’es pas mort ?
Si ! Mais mon esprit soufflera à jamais sur la musique, irriguant de ses couleurs diaphanes l’âme des musiciens français pour des siècles et des siècles…
Oui oui Amen, on a compris César. Bon, qu’est-ce qui t’amène, ô grand spectre philanthrope ?
Ben, je vous entendais parler à l’instant, et je voulais mettre mon petit grain de sel. Croyez-en le belge que je suis : il n’ya rien de plus difficile que de se faire aimer du public parisien. À mon époque comme à la vôtre. Mais c’est justement ça la musique française : personne ne se reconnaît comme français, parce que personne est fichu de savoir ce que c’est vraiment, être français ! Maurice, tu es basque, Gabriel tu viens du fin fond de l’Ariège, et moi, je suis belge ! On est pas exactement nés sous l’arc de Triomphe, vous voyez ce que je veux dire ?
Oui, et alors ?
Et ben il a raison Gabriel, il faut rester soi-même. Les parisiens ils aiment ça, et même s’ils aiment pas ta musique maintenant, il te respecteront si tu sais leur dire m**de. C’est ce que j’ai fait avec mon Quintette avec piano en fa mineur : on m’attendait avec une partition en quatre mouvements, bien tradi, et moi, boum ! Les quatre mouvements ça m’ennuie, alors j’ai raccourci à trois. Et croyez-moi, même si ça a pas marché direct, je suis persuadé que dans un siècle quand on voudra faire, je sais pas, genre une « Nuit de la musique française », avec les meilleurs musiciens, c’est nous qui tiendrons le haut de l’affiche ! Un basque, un belge et un ariégeois…
Pendant ce temps, au fond du café, Francis gratte aussi…
César, il a beau raconter des salades, il a pas tort les gars. Moi grâce à vous, j’ai un boulevard pour faire ma musique. C’est parce que vous avez ouvert la voie que j’ai pu plaire aux gens. Grâce à vous, un avorton qui aime faire des blagues a pu se faire un nom : Poulenc.
Les Quatre amis commandent une bouteille de rouge, pour fêter leur union. Un toast est porté, à la musique française !
César avait raison. Un siècle plus tard, sous les Séquoias centenaires du parc de la Roque d’Anthéron, la crème de la crème était réunie pour applaudir six des meilleurs musiciens français. Le Quatuor Modigliani a mis au service de Maurice et Gabriel sa science infuse de l’ensemble, son souffle de cordes, son génie de la couleur et son amour de la ligne claire. À leurs côtés, Jean-Frédéric Neuburger posait ses mains sur un piano qui rêvait d’être caressé par un expert en délicatesse, en fluidité et en écoute. Et Rémi Geniet, petit jeunot de la bande venu du jazz et de la musique d’aujourd’hui, prouvait qu’il ne suffit pas d’être un grand technicien pour jouer les Valses nobles et sentimentales de Ravel. Il faut parler la langue de Ravel, la langue de chacun de ces artistes qu’on a pas fini de célébrer, dans une grande conversation à cheval sur les époques. Ce soir là, à la Roque, on se serait cru au café des Arts…
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Et grâce à France Musique, qui diffuse en ligne toute cette Soirée de la musique Française, on peut en profiter, pour des siècles et des siècles !