CD – Après avoir conquis les publics du monde entier, le Quatuor Modigliani profite de l’arrêt des longs courriers pour poser durablement ses valises en France. Ses musiciens prennent la direction artistique du Concours international de Quatuors à Bordeaux, et nous présentent un enregistrement que l’on attendait depuis longtemps : Haydn – Bartók – Mozart.
Un trait pour les yeux, un pour la bouche, un pour le nez : la géographie d’un visage, d’une émotion exprimée par leurs segments les plus élémentaires. Pas une esquisse, non, un travail d’épure pour arriver à dire le plus avec le moins. L’économie de moyen au service de la puissance du geste. Une savante avarice.
Mais de quoi parle-t-on au juste ? De peinture ou de musique ? De Modigliani ou des Modigliani ?
Les deux mon capitaine ! Parce que cette démarche de simplification, de réduction à l’essentiel de l’idée artistique est très exactement à la base du travail d’un compositeur devant un quatuor à cordes. Les musiciens du Quatuor Modigliani n’auraient pas pu mieux choisir leur nom, tant ils incarnent eux aussi, en tant qu’interprètes, cette capacité rare de souligner la musique par une ligne claire, une idée précise et parfaitement ordonnée du discours. Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement…
Un parcours au sommet
Pour ça, il faut commencer par être d’excellents musiciens. Et là-dessus, pas de souci ! Concours internationaux, collaborations avec les plus grands interprètes, tournées fastueuses avec le gratin des salles de concert mondiales : depuis quinze ans, nos quatre Français dans le vent ont gravi toutes les marches. Une excellence qui leur permet aujourd’hui de s’attaquer à trois sommets du quatuor à cordes dans un enregistrement à paraître le 5 février 2021. Un disque « entrée – plat – dessert » : Les quintes de Haydn, le Quatuor n°3 de Bartók et Les Dissonances de Mozart. De quoi largement se sustenter ?
Ces trois pièces ne sont généralement pas présentées ensemble. Elles sont si riches et si différentes que chacune d’entre elles peut constituer la pièce maitresse d’un programme traditionnel. Mais, on l’a compris, les Modigliani ne sont pas un quatuor traditionnel. Faisant fi de la cohérence stylistique, la démonstration de force consiste à jongler sans difficulté entre polyphonie, polyrythmie et contrepoint, sans qu’on sente le moindre effort. Mieux que ça, elle permet de chercher une continuité, d’explorer le dialogue entre deux périodes si différentes. Dans la vie, plus d’un siècle sépare Mozart de Bartók. Dans ce disque ils sont voisins de piste et communiquent dans la patte sonore des musiciens. Au point que, si l’on est pas très attentif au livret, on fait le grand écart sans s’en rendre compte. Notre oreille est trompée, et il est impossible que les Modigliani ne l’aient pas fait exprès. Les coquins…
C’est pour qui ?
Soyons francs : le répertoire du quatuor est une musique de spécialistes, une science du schéma musical et de l’architecture harmonique qui plaît d’abord aux passionnés. De ce point de vue là, le dernier né des Modigliani est un incontournable. Il suffit de lire le programme pour comprendre qu’on a affaire à une future référence du genre. Chaque œuvre y est très précisément exécutée, et aucun compositeur n’est laissé à l’écart d’une interprétation toujours fidèle. Et quelle justesse ! Un diapason ne ferait pas mieux… Bref, quand on est connaisseur, on s’y reconnaît.
Pour autant, on ne peut pas réduire les Modigliani à des savants dans leur tour d’ivoire. Récemment, ils ont décidé de prendre la direction artistique du Concours international des Quatuors à Bordeaux, et d’y développer en parallèle une activité pédagogique à destination des publics éloignés de ce répertoire. Une démarche de plus en plus courante, mais que l’on doit saluer si l’on est, comme nous le sommes, attaché au décloisonnement de la musique dite « savante ». On attend le résultat avec impatience, et ne manquerons pas de vous en parler.
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Pourquoi on aime ?
- Pour le risque pris à présenter trois pièces aussi monumentales dans un même disque. Belle performance messieurs !
- Pour leur sens du détail, qui en dit long : les quelques secondes de transition entre le Bartók et le Mozart sont si bien pensées qu’on ne sent pas de différence. Bluffant…
- Pour la justesse irréprochable dans les passages rythmiques, une des choses les plus difficiles à atteindre en musique de chambre. Une vraie masterclass.
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un régal cette newsletter …
[…] édition que rien ne serait oublié… mais jamais survolé. Le Quatuor de Ravel (joué par les Modigliani qui en ont fait leur passeport international) est ainsi mis en perspective par les plus rares Trois […]