THÉÂTRE MUSICAL – Plus qu’une simple biographie théâtrale, Géraldine Martineau nous offre un portrait intime et engagé d’une femme qui bouleversa les codes de son époque. La « Divine » quitte son cercueil légendaire pour éblouir la scène du Palais-Royal dans un hymne à la liberté féminine.
La vie de Sarah : théâtre dans le théâtre
Résumer la vie extraordinaire de Sarah Bernhardt en seulement 1h50 était un défi de taille pour Géraldine Martineau. Surnommée « La Divine », cette actrice légendaire a foulé les planches pendant plus de six décennies. Son existence, digne d’un roman-feuilleton continue de fasciner le public comme en témoigne la superbe exposition qui lui a été consacrée l’année dernière au Petit Palais. Et pour cause ! Il faut dire qu’il y de quoi raconter sur Sarah : rescapée de deux guerres et de l’amputation d’une jambe, elle a mené une vie hors du commun, marquée par quelques excentricités. Un cercueil en guise de lit ou un alligator comme animal de compagnie, « La Divine » cultive son extravagance. Côté cœur, c’est tout aussi tumultueux : un rejeton illégitime avec un prince belge et un mari acteur à la carrière éclipsée. Sans compter tous ses amants.
Mais c’est sur les planches que Sarah explose tous les cadres : deux démissions fracassantes de la Comédie Française, des tournées mondiales dont une jusqu’au Far West et une prédilection pour les rôles masculins comme Hamlet, L’Aiglon ou Lorenzaccio. Une femme en avance sur son temps, sans aucun doute.
La B.O de la bio
Avec une intelligence remarquable, Géraldine Martineau a su tisser une trame narrative dense et cohérente, en sélectionnant les épisodes marquants de cette vie hors du commun. Enchaînant les tableaux de façon chronologique et fluide, la mise en scène et la musique nous plongent dans le tourbillon d’une vie. Du couvent de Grandchamp aux funérailles nationales grandioses, en passant par le Théâtre de l’Odéon transformé en infirmerie de fortune ou à des moments d’intimités avec sa mère et ses sœurs : chaque tableau est comme la pièce d’un puzzle géant dévoilant la complexité d’une personnalité extraordinaire mais surtout profondément attachante.
Entre les différents tableaux, les intermèdes chantés, véritables ponctuations émotionnelles, tantôt mélancoliques, tantôt exaltants soulignent avec justesse les hauts et les bas de la vie de Sarah. Les musiciens, Bastien Dollinger au piano et à la clarinette et Florence Hennequin au violoncelle deviennent alors les véritables complices de la vie de Sarah et leur musique en live ajoutent une dimension émotionnelle à chaque tableau.
Estelle Meyer, divine
La pièce doit surtout son succès à son interprète principale : la comédienne et chanteuse Estelle Meyer, qui incarne avec une justesse saisissante la grande Sarah. Elle s’empare du personnage avec une telle fougue qu’il devient impossible de la dissocier de son modèle. Loin de l’imitation, elle insuffle à l’icône une humanité vibrante qui transcende le mythe. Estelle Meyer ne joue pas Sarah, elle la vit. Sous ses traits, la Divine se dévoile dans toute sa complexité : une femme passionnée avec une soif de liberté et d’égalité. On jubile devant l’insolence de la jeune pensionnaire giflant une sociétaire de la Comédie Française alors qu’elle vient d’arriver, on frémit face à l’horreur des lettres antisémites qu’elle reçoit, et on est complètement bouleversé devant le deuil de sa sœur, puis de sa mère. En bref, Estelle Meyer est simplement éblouissante. Et puis on souligne sa « voix d’or » (le surnom que Victor Hugo donnait à Sarah) mais surtout habitée qui passe avec une aisance déconcertante de nuances graves à une légèreté enjouée.
Autour d’elle, sept comédiennes et comédiens interprétant avec aisance trente-quatre rôles. Paris eux, Sylvain Dieuaide incarne avec brio le fils illégitime de Sarah, (Maurice) évoluant avec aisance d’un âge à l’autre. Son espièglerie ajoute une touche de fraîcheur à la pièce.
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Plus qu’un simple hommage à « La Divine », c’est un véritable manifeste féministe sur la vie d’une femme en avance sur son temps qui ne respecta aucune des conventions. Sarah Bernhardt, y devient une icône résolument moderne, mais surtout un modèle d’émancipation pour toutes les femmes qui refusent de se conformer. On sort de la salle avec la pêche et une sérieuse envie de se rebeller contre tous les carcans, quels qu’ils soient : machistes, discriminatoires, jaloux, moroses etc. Inspirés par l’impertinence et la passion de Sarah.