OPÉRA – Faisant feu de tout bois, Barrie Kosky s’empare (certes avec volupté et une vision toute personnelle, voire une certaine condescendance) des Brigands d’Offenbach sur la scène du Palais Garnier.
Dès l’entrée en scène du chef des bandits Falsacappa, le spectateur comprend où il est. Marcel Beekman qui interprète ce personnage entouré de jeunes gens assez dénudés et provocateurs, s’est métamorphosé en Drag queen tout de rouge vêtue. La référence ici est Divine, travesti américain aux formes généreuses, outrageusement maquillée et à la perruque flamboyante, égérie de John Waters et pilier du cinéma underground transgressif des années 70. Tout le spectacle se décline de cette atmosphère un rien délétère avec une pléthore de chanteurs, danseurs, figurants, vêtus des costumes flashy les plus improbables.
Course-poursuite sur l’autoroute…
Entre les entrées et les sorties permanentes, les cris et les courses en scène, Barrie Kosky impose un rythme d’enfer à tout le monde, quitte à perturber le chant et la musique même d’Offenbach. Ce trop-plein et ce déploiement constant d’énergie lassent rapidement. Ils entraînent par ailleurs et à plusieurs reprises des décalages perturbants avec l’orchestre au niveau notamment des chœurs. Malgré tout ça, le spectateur un peu plus au fait de cette histoire particulièrement décalée arrive à retrouver la trame initiale du livret de Meilhac et Halévy. Mais waouh, il faut s’accrocher aux branches…
…à contre-sens
Les références à la situation politique et sociétale actuelle de la France ne font rire que quelques rares spectateurs ! Car c’est bien le rire, le sourire et l’émerveillement qui font gravement défaut à ce spectacle faussement et artificiellement joyeux. Certes, il ne s’agit pas de la partition la plus inspirée d’Offenbach, mais ici elle semble comme noyée dans un magma qui la dénature. Quelques tableaux apparaissent tout de même plus aboutis, comme celui consacré à l’entrée des Espagnols au 2ème acte inspirée des toiles de Velasquez où Barrie Kosky -à qui l’on doit de très beaux moments à l’opéra- renoue avec son inspiration habituelle. Les références cinématographiques parsèment la soirée jusqu’au ballet des nones aux coiffes aériennes tout droit issues du Roma de Federico Fellini. L’Opéra-bouffe bascule dans cette approche globale dans le non-sens, voire le contre-sens.
Voix par voix : prime à la récidive
- Marcel Beekman dispose d’un talent comique évident, mais vocalement il s’éloigne du ténor de demi-caractère attendu pour son rôle, déguisant ou déformant sa voix certes bien établie, mais ancrée dans le nasal et perturbée par un accent trop présent.
- Dans le rôle de sa fille Fiorella, Marie Perbost, en dehors quelques aigus lumineux, peine à réellement passer la rampe.
- Antoinette Dennefeld -son amoureux Fragoletto- s’en tire bien mieux, alerte en scène et laissant se déployer avec aisance sa belle voix de mezzo-soprano.
- Yann Beuron, très en forme, campe un Baron de Campotasso de fière allure, tout comme Laurent Naouri impeccable en chef des carabiniers.
- Mathias Vidal, habillé en mafieux des années 30, incarne un Prince de Matoue réjouissant. Il en est de même de Philippe Talbot irrésistible en Comte de Gloria-Cassis qui accompagne la Princesse de Grenade où la voix grave et capiteuse d’Adriana Bignani Lesca s’impose d’emblée.
- Au sein de cette distribution pléthorique, ressortent plus particulièrement des habitués de genre dans une vision certes plus classique comme Rodolphe Briand (Pietro), Eric Huchet (Domino) ou Frank Leguerinel (Barbavano).
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Stefano Montanari dirige l’Orchestre de l’Opéra National de Paris avec un bel enthousiasme et surtout une réelle compréhension de cette musique pleine de verve. Un travail reste à faire pour mieux articuler l’interprétation musicale avec une mise en scène bien foisonnante et repliée sur elle-même.
Pour vous en faire un idée, Les Brigands sont à l’affiche de l’Opéra de Paris jusqu’au 12 octobre, puis à partir du 29 juin 2025